Quand des employés d’Osram jouent au Ku Klux Klan
Source : http://www.liberation.fr/
Un ouvrier camerounais aurait été violenté par ses collègues.
Par Thomas CALINON
vendredi 05 novembre 2004 (Liberation – 06:00)
Strasbourg, de notre correspondant
La lumière crue du flash illumine la scène. Un atelier au sol taché, un bureau sur la gauche, une chaîne de montage qui file vers l’arrière-plan sur la droite. Au centre de la photo, un homme blanc est accroupi. Près de lui, un poteau auquel est attaché un homme noir. Plusieurs mètres de ruban adhésif marron sont passés autour de son torse et de ses membres. Il s’appelle Théodore N’Kamdo, a 40 ans et est camerounais. Un jour de janvier 2003, plusieurs collègues de son atelier de l’usine Osram de Molsheim (Bas-Rhin) ont décidé de «jouer» avec lui. Alors ils l’auraient attiré dans un guet-apens avant de l’attacher et de l’insulter : «Sale nègre», «sale race», «gorille». L’un d’eux prend des photos, avant qu’un électricien vienne libérer Théodore N’Kamdo.
«Les gens à qui je montre la photo, ils disent que c’est Abou Ghraib (la prison dans laquelle des prisonniers irakiens ont subi des sévices commis par des militaires américains, ndlr)», dit Me Raphaël Nisand, délégué local de la Licra (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme). Hier, l’avocat a transmis au parquet de Saverne une plainte pour «violences volontaires en réunion et avec préméditation» au nom de Théodore N’Kamdo, de la Licra et de la CFDT-Métallurgie du Bas-Rhin. Au moins quatre personnes qui auraient participé au ligotage de Théodore N’Kamdo sont identifiées par leurs prénoms. Une plainte pour «discrimination raciale» vise également la société Osram, qui emploie 1 000 personnes à la fabrication d’ampoules électriques et dans laquelle Théodore N’Kamdo a été embauché comme régleur en septembre 2000.
«Dès le début, raconte Me Nisand, il y a eu des insultes racistes, des invectives, voire des jets d’ampoule. Ses coéquipiers lui demandaient "quand est-ce que tu vas rentrer chez toi" en lui montrant des bananes.» Plusieurs fois, Théodore N’Kamdo se serait plaint, en vain, auprès de sa hiérarchie. Idem lorsqu’il parvient à se procurer l’une des photos de son ligotage qui circule dans l’atelier. En octobre 2003, Osram constate des retards, des absences et des problèmes de qualité dans son travail «depuis début 2003», soit la date de l’agression présumée. Théodore N’Kamdo est mis à pied, puis rétrogradé en mars 2004. Il a entamé une procédure aux prud’hommes qui a débouché sur l’action pénale engagée hier. Il est désormais en arrêt maladie «à cause d’une maltraitance raciste au travail», selon le certificat médical établi par le psychiatre qui le suit. «Ce qui est décrit dans cette plainte n’a rien d’exceptionnel, c’est une illustration du racisme au quotidien. Et quand la victime s’en plaint, il lui arrive tous les malheurs. Mais la preuve qu’on a avec cette photo, elle est unique.»
«En aucun cas nous n’avons été informés de ces agissements», a indiqué hier Thierry Simon, d’Osram : «Il y a une mosaïque de nationalités dans l’usine et nous avons toujours travaillé dans de bonnes conditions. S’il ressort qu’il y a eu un comportement fautif des salariés, Osram se réserve le droit de se porter partie civile.»