En prépa, les filles ont moins souvent une place en internat que les garçons
En prépa, filles et garçons ne sont pas logés à la même enseigne. 36 % des filles trouvent place en internat contre 64 % des garçons, selon les calculs d’un collectif d’associations qui veut relancer le débat. Véronique Chauveau, la vice-présidente de Femmes et mathématiques vient de saisir la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde), vendredi 2 octobre. En son nom et au nom du collectif Ouvrons les portes, qui regroupe trois autres associations : Paris-Montagne, Femmes et Sciences et Femmes ingénieurs.
Les lycées français proposent près de deux fois moins de lits d’internat aux filles qu’aux garçons inscrits en classes préparatoires (CPGE). Sur la seule région parisienne, vingt-six lycées avec CGPE disposent d’un internat. Mixte dans dix-huit cas, réservé aux garçons pour les huit autres. Et ces derniers ne sont pas des moindres puisque Stanislas, Chaptal, Dorian, Janson-de-Sailly et Jean-Baptiste-Say ne logent que les garçons.
Même situation au prestigieux Henri-IV. "J’ai hérité en arrivant ici de 130 places pour garçons et d’aucune pour les filles. Une extension de mon internat était prévue il y a dix ans qui n’a jamais eu lieu. Je viens de réitérer ma demande d’extension au conseil régional, car je ne me satisfais pas de mon offre. En attendant, je ne peux réduire la place réservée aux garçons, qui ne disposent que d’un seul foyer pouvant les accueillir à Paris, et qui est très onéreux. Pour les filles, j’ai mis en place des partenariats avec des foyers du quartier et avec la Cité universitaire internationale. Ce qui me permet d’en loger 180, hors les locations privées", rappelle le proviseur Patrice Corre, qui accueille 1 100 élèves dont 60 % de filles dans ses prépas. Conscient de la différence de prix entre une pension complète chez lui et un foyer, il assure aider, via sa caisse de solidarité, les jeunes filles boursières logées à l’extérieur, dont les familles peinent à payer.
"Double discrimination"
Reste que l’équité n’y est pas. "La discrimination est même double, s’insurge François Taddei, fondateur de l’association Paris-Montagne. Elle touche les filles dans leur ensemble, certes, mais plus encore celles qui sont issues des milieux les plus défavorisés." Parce que l’absence de chambre signe pour certaines la fin du rêve d’intégrer une grande école. Soit que les deux ou trois heures quotidiennes de transport ont un trop fort impact sur leur temps de travail, soit qu’elles renoncent devant les difficultés et repartent vers une formation en deux ans qui cumule l’avantage d’être près de leur domicile et moins aléatoire qu’un concours. Ce fut le choix de Fatou, titulaire d’un bac scientifique avec mention très bien, repartie d’Henri-IV au bout d’un mois pour suivre un DUT près de chez elle, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). "Le logement a joué, mais ce n’est pas le seul facteur. Je crois que je n’étais pas prête pour ce grand saut", explique la jeune femme.
Sur le site du collectif Ouvrons les portes, les témoignages s’enchaînent et les souvenirs refont surface. Nina, une étudiante allemande, aujourd’hui à l’ENS Cachan, se souvient : "Je me suis vu refuser une place d’internat à Janson-de-Sailly. Restaient les foyers des lycéennes. Mais il faut connaître, surtout quand on vient de l’étranger ! J’ai fini par y avoir une place, mais bientôt je me suis rendu compte que j’y bossais moins bien que dans la salle d’études du lycée, et j’ai payé un deuxième repas chaque jour pour pouvoir y rester quelques heures de plus. Ma mère étant au RMI, et moi-même exclue des bourses à cause de ma nationalité, je n’aurais pas pu finir ma prépa si mon grand-père n’était pas mort entre la sup’et la spé’, me laissant de quoi me nourrir !" Car le foyer coûte plus de deux fois plus cher que la pension, se situe parfois loin et prive d’une entraide.
Dans ces classes difficiles, les enseignants sont unanimes pour reconnaître que le travail en groupe est une des clés de la réussite individuelle. D’excellentes prépas privées ne prennent d’ailleurs que des internes et en font un argument de l’offre. En vivant hors internat, les jeunes filles sont exclues des soirées de travail et de la camaraderie qui aident à tenir durant ces deux ou trois années difficiles.
Cette injuste répartition des chambres ne date pas d’hier. C’est une des dernières résurgences du passé puisque ce n’est qu’en 1882, soit quatre-vingts ans après la création des lycées napoléoniens, que s’est ouvert le premier lycée public de jeunes filles. Quant à la mixité du fleuron de notre système qu’est Polytechnique, elle ne date que de 1972.
Le débat est donc relancé. Avancera-t-il en 2009, alors que la parité filles-garçons est très loin d’être atteinte dans les disciplines scientifiques à l’ENS ?
Sur le Web : www.ouvronslesportes.org.
Répartition inégales des filles dans les différentes prépas
2 élèves sur 5 sont des filles. En 2008-2009, elles représentaient 34 000 des 80 000 étudiants des classes préparatoires.
3 élèves sur 4 en prépas littéraires et un tiers seulement en prépas scientifiques sont des filles. En filière économique et commerciale, la parité est atteinte.
71,6 % des élèves de ces classes sont titulaires d’un baccalauréat scientifique.
2,8 % d’élèves de plus à la rentrée 2008. Une progression constante depuis 1995.
Par Maryline Baumard
Source: LE MONDE | 06.10.09