Fléau : Le Cameroun sur le nuage de la drogue
Le pays est désormais un foyer de consommation, et de plus en plus de jeunes prennent goût à ce fléau.
Patrick Mballa est un ancien toxicomane. C’est à 12 ans, alors qu’il est élève en classe de troisième au foyer Jeanne Irène Biya de Mvomeka’a, qu’il goûte pour la première fois à la drogue, du cannabis précisément. Avant de se mettre plus tard au haschich et à l’héroïne. «J’ai commencé à fumer par ignorance, puis c’était par effet de groupe car à l’internat, le caïd, c’était celui qui avait un joint dans la bouche», confie cet ingénieur informaticien de 31 ans. Cela fait quatre ans maintenant que Patrick Mballa jure n’avoir plus touché à aucune de ces substances qui circulent illicitement au Cameroun. «La cocaïne et l’héroïne, classées drogues dures, entrent dans notre pays par voie aérienne, en provenance de l’Amérique latine (cocaïne) et des pays asiatiques (héroïne).
Nous évoquons la voie maritime quand les drogues arrivent à Douala. Il y en a qui ressortent pour le Nigeria par voie maritime ou terrestre», explique le commissaire de police Félix Bourssamon, en service à la Police judiciaire.
A ces stupéfiants, il faut ajouter les substances psychotropes, c’est-à-dire «les produits de synthèse qui nous viennent également par voie aérienne des pays asiatiques», ajoute-t-il. Si les différents points de production (Batouri, Mbalmayo, Foumbot et Nkongsamba) et les lieux de vente du cannabis (hôpital Jamot à Yaoundé, Marché central, le long des voies ferroviaires) sont connus des services de la police en charge de combattre ce fléau, les réseaux des drogues dures sont bien plus complexes, les ramifications s’étirant jusqu’à l’international.
Zone de destination
«Ce sont des réseaux bien tissés. Mais, nous arrivons néanmoins à pénétrer ces réseaux grâce à nos informateurs locaux ou internationaux. Lorsque la drogue doit entrer dans le pays, nos correspondants internationaux nous donnent le portrait du porteur de la marchandise. Nous organisons l’opération et nous l’interpellons», assure le commissaire. Ce dernier affirme cependant que les infiltrations dans ces filières restent un peu limitées, à cause de «moyens techniques (qui) manquent à nos services de répression pour pouvoir pénétrer suffisamment les réseaux et interpeller les animateurs».
Selon le ministre de la Santé publique (Minsanté), les études récentes menées par le Comité national de lutte contre la drogue font état de l’ampleur du phénomène et de ses effets néfastes sur la santé (dépendance, agressivité, perte d’appétit, faiblesse physique, diminution des défenses naturelles avec exposition aux infections, etc.).
«60% des jeunes usagers des drogues de toute nature ont autour de 20 ans (et) 10% de la population a déjà goûté à une drogue dure», avance André Mama Fouda. «Le phénomène est en hausse. Ce qui semble nous apparaître comme une baisse ne l’est pas en réalité. Avec la saisie record de la cocaïne en Afrique de l’ouest il n’y a pas longtemps, les trafiquants ont juste observé une légère pause pour prendre d’autres techniques», affirme le commissaire Bourssamon.
Ainsi, autrefois terre de transit de ces substances psychoactives en partance pour l’Europe, le Cameroun est devenu aujourd’hui une destination, voire même un label, souligne le Dr Flore Ndembiyembe, secrétaire permanent du Comité national de lutte contre ces produits. Et le paradoxe dans tout cela, renchérit le commissaire Bourssamon, est dû au fait que «pendant qu’aucune saisie n’est faite à Yaoundé, on saisit des quantités importantes de cocaïne et d’héroïne (3 à 5 kg) en Europe, en provenance de notre pays».
Les premières victimes de ces substances d’origine naturelle ou synthétique qui entraînent une ou plusieurs modifications des fonctions du cerveau, sont les jeunes : autant les enfants de la rue que les élèves et les étudiants qui s’y adonnent par plaisir, par mimétisme, pour se donner du courage ou une contenance, souligne le Dr Ndembiyembe. «Le lien entre la drogue, les accidents de la route et les actes criminels n’est plus à démontrer», a précisé André Mama Fouda la semaine dernière au siège de l’Observatoire national de la santé (Ons) à Yaoundé, à l’occasion de la cérémonie commémorative de la Journée internationale de lutte contre l’abus et le trafic illicite des drogues.
Il a estimé qu’il était obligatoire de combattre coûte que coûte ce fléau qui fait des morts. Si Patrick Mballa a réussi à se sortir de ce cercle infernal grâce à l’aide d’une psychothérapeute, ce n’est pas le cas des autres drogués ; car la prise en charge des toxicomanes reste encore limitée aux unités de santé mentale, par ailleurs peu nombreuses.
Patricia Ngo Ngouem
Source: http://www.quotidienmutations.info
4 juillet 2010