Felix Lamah Porte-parole de la Coordination des Étudiants de Kankan en exil
« Il est urgent que les autorités se débarrassent de leur orgueil et de leur complexe de supériorité en faisant appel aux étudiants pour dialoguer et mettre un terme à ces grèves », a déclaré M. Félix Lamah, porte-parole de la Coordination des Étudiants de Kankan (CEK) en exil, dans cette interview qu’il nous a accordée.
Propos recueillis par Touré Fodé Saliou, Correspondant d’ExcelAfrica en Guinée.
TOURE Fodé Saliou : Bonjour et merci M. le porte-parole d’avoir accepté de répondre à nos questions depuis le Sénégal où vous êtes exilé suite au licenciement des membres du bureau de la Coordination des Étudiants de Kankan (CEK). M. Lamah, il y a juste deux ans, nous recevions des informations faisant état d’arrestation des membres de votre bureau avec d’autres camarades étudiants de l’université. "Opposant étudiant exilé" aujourd’hui, pouvez-vous nous dire de quoi il s’agissait exactement et comment vous avez pu échapper aux griffes du recteur Dr Seydouba Cosa Camara?
Félix Lamah : D’abord, je voudrais, au nom du bureau exécutif de la Coordination des Étudiants de Kankan en exil, remercier l’initiative de Gamal Info qui est là une preuve que les étudiants guinéens ne manquent pas d’intelligence, de créativité et de volonté pour l’épanouissement de cette couche qui malheureusement n’est jamais écoutée.
Tout a commencé au mois de novembre 2002 lorsque nous réclamions la reconnaissance d’une structure digne de nom et capable, sans démagogie, de servir d’interface entre les autorités universitaires et l’ensemble des étudiants de l’université de Kankan. C’est tout à fait légitime que les étudiants se regroupent en conseil pour la défense de leurs intérêts. Nous avions cru normal, comme ceux des universités de Conakry, Faranah et Boké, d’avoir notre conseil à nous surtout que les 90% des étudiants y étaient favorables.
Mais en dehors de cette demande de reconnaissance de la Coordination des Étudiants de Kankan, l’université de Kankan allait mal. Sur le plan pédagogique l’étudiant de Kankan était confronté à :
– Un manque chronique de professeurs conduisant à la réduction de certaines matières clés portant ainsi préjudice à la formation nécessaire et envisagée pour l’étudiant;
– Un manque de professeurs qualifiés. Au département de Sociologie par exemple, il n’y a que des historiens et des philosophes reconvertis et improvisés professeurs
– Un manque de laboratoires pour les étudiants en faculté de Sciences;
– Pauvreté de la bibliothèque qui ne permet guère des recherches adéquates;
– L’inaccessibilité de la majorité des étudiants au Centre Informatique;
– Octroie par complaisance des notes et mentions;
– Inconscience professionnelle qui se matérialise par l’octroie des sujets aux étudiants privilégiés avant les examens. Ce qui entraîne des "fuites" ;
– Le non achèvement des programmes dans tous les départements;
– Le redoublement arbitraire des étudiants;
– L’emploi des étudiants sortants (avec le niveau maîtrise seulement) comme professeurs, n’ayant aucune expérience pédagogique nécessaire pouvant leur permettre de donner les cours convenablement…
Sur le plan social
– La division des étudiants par les membres du rectorat qui avait pour conséquence la désunion et l’esprit d’ethnocentrisme et de régionalisme;
– Présence d’un hôtel au sein du campus universitaire bien que le Recteur de Kankan le nie;
– La non prise en charge sanitaire effective des étudiants en cas de maladie nécessitant une assistance (frais de médicament surtout);
– Le non entretien des toilettes;
– La tenue aux étudiants de propos malsains et révoltants par certains cadres de l’université…
Autant de problèmes qui ne pouvaient plus perdurer. Ainsi, par plusieurs reprises, nous avions rencontré les autorités universitaires dans le souci de trouver, en concert, une solution par la structure désirée et voulue par la majorité des étudiants. Le coup de gueule est que nous n’avons jamais été compris. En place des réponses c’étaient des menaces et des intimidations. Il fallait donc trouver un autre moyen de nous faire entendre. Nous avions alors déposé au Rectorat un préavis de grève et ensuite un avis de grève comme le prévoit la Loi. Espérant que nous serions convoqués pour dialoguer et trouver un terrain d’entente, ce fut le silence. Alors nous décidâmes d’aller en grève le 10 décembre 2002 avec l’accord de la majorité des étudiants. Seuls les étudiants qui mangeaient dans les assiettes du Recteur et qui servaient d’espions (car certains étudiants disposent de dictaphones) étaient opposés à cette grève ( ils n’atteignaient même pas 50 étudiants sur les 2000) qui se voulait pacifique. Et comme il est de routine chez nous en Guinée, le Recteur et ses subordonnés allèrent rencontrer le Commandant de Zone Militaire de kankan pour lui dire qu’un petit groupe d’étudiants à la solde des leaders de l’opposition viennent de révolter l’ensemble des étudiants et ils ont tout cassé au campus. Pourtant même une aiguille n’était touché dans le campus. Comme une nuée, le campus sera pris d’assaut par les commandos rangers et les nouvelles recrues du camp militaire Soundjata Keita violant ainsi la loi portant sur la Franchise Universitaire. Bastonnades à coup de crosses, lynchage, vol, torture et détention de trente deux étudiants pendant une semaine dans des conditions inhumaines et dégradantes. Voilà ce qui s’est passé.
Quant à savoir comment nous nous sommes échappés des griffes du Recteur, cela remonte au mois de février 2003 lorsque après avoir rencontré le Ministre de tutelle d’alors Eugène Camara pour lui relater la vérité des faits par le biais d’un rapport le 06 janvier 2003, nous nous rendîmes à Kankan pour la reprise des cours. Sur ordre du Ministre nous devions alors porter un message de sa part aux étudiants concernant les reformes envisagées pour l’amélioration des conditions d’études et de vie des universités. Notre surprise fut grande lorsque le Recteur se permit de licencier notre ami Mamadou Baïlo Diallo, secrétaire général de la C.E.K pour la simple raison que ce dernier a affiché un avis de réunion convoquant l’ensemble des étudiants pour le compte rendu de notre rencontre avec le Ministre. Attitude qui n’a pas plu aux étudiants. Alors, nous autres, membres du bureau exécutif de la C.E.K prirent des dispositions afin que réparation soit faite. Après avoir rencontré et pris à témoin toutes les sensibilités administratives et religieuses de la ville de Kankan pour remettre notre ami dans ses droits, le Rcteur restera insensible aux différentes interventions. C’est ainsi, que nous décidâmes aussi d’afficher un avis de réunion dûment signé afin de faire le compte rendu de l’échec de nos démarches. Sans gène, le Recteur licencia les signataires de cet avis de réunion au nombre de dix le 9 février 2003. Ce fut le début de la seconde grève (déclenchée le 10 février 2003 par les étudiants eux-mêmes pour réclamer notre retour au campus car nous étions déjà expulsés du campus le 9 février au soir et recherchés par les forces de l’ordre) qui sera plus réprimée que la première . Là également les scènes étaient horribles. Il fallait absolument retrouver les étudiants radiés. Tous les moyens étaient donc utilisés. Seule la protection de Dieu nous a permis de nous exfiltrer de la ville de kankan où nos noms et photos étaient déposés à chaque barrage et un communiqué radiodiffusé du Préfet de la ville donna ordre à la population de nous livrer. Mais la population n’est jamais dupe.
Je voudrais conclure cette partie en signifiant que nous ne sommes pas des opposants et nous ne sommes à la solde d’aucun parti politique. La seule politique que nous menons jusqu’ici est la politique des étudiants de Guinée privés de bonnes conditions d’études et de vie. Que cela soit clair dans la tête des gens.
TOURE Fodé Saliou : Dans sa récente "lettre ouverte au Premier Ministre", le bureau exécutif de la CEK en exil demande un forum étudiant avec les responsables en charge du secteur éducatif. Pensez-vous que cet appel sera entendu quand on sait que nos ministres brillent toujours par leur silence et qu’en Guinée c’est du pêché la réclamation de meilleures conditions d’existence et de travail?
Félix Lamah : Le Premier Ministre à qui nous avons adressé cette lettre ouverte est une personne censée être à l’écoute de toutes les structures et composantes du pays. Alors nous espérons que notre appel sera entendu. Ce forum de l’étudiant, s’il est compris par les autorités, marquera le début d’un réel sursaut de l’éducation car les vrais problèmes de l’éducation seront posés par les concernés eux-mêmes et à coup sûr des solutions seront trouvées de concert avec les étudiants à travers les différents conseils d’étudiants du pays. Si depuis plus de quinze ans des grèves sévissent dans les différentes universités et instituts du pays, c’est parce qu’on a jamais pris l’initiative de s’asseoir autour d’une table pour dialoguer. Les autorités pensent toujours que les jeunes sont incapables de réfléchir sagement et de trouver des solutions viables quant à leur devenir surtout dans le domaine de la formation. Donc, au nom de mes amis, je profite de cette opportunité pour encore renouveler notre appel auprès du Premier Ministre afin qu’il s’implique personnellement dans la résolution des problèmes des étudiants de Guinée et plus particulièrement ceux de Conakry. Nous sommes très inquiets de la situation des étudiants détenus dans des conditions critiques et qui, selon nos sources d’information, doivent être jugés bientôt. Ce qu’ils ont réclamé n’est pas la Lune et ne saurait être un crime qui mériterait une condamnation. Mais nous sommes d’avance rassurés du soutien des Avocats de la défense pour les acquitter de toutes peines si jugement a lieu.
TOURE Fodé Saliou : Depuis 15 ans, des grèves se succèdent sans trêve dans nos universités et instituts, vous le dites. Comment vous entrevoyez dans ce cas l’avenir des études supérieures en Guinée avec ces grèves à répétition ?
Félix Lamah : Certes, il est regrettable d’assister, dans un même pays pendant plus d’une décennie, à d’incessantes grèves, mais c’est parce que les autorités ne laissent pas parfois le choix aux étudiants qui au finish n’ont pour seul recours que la grève. Et la grève est autorisée par la loi comme autre moyen de recours pour se faire entendre. Comme on le dit très souvent " les mêmes causes engendrent toujours les mêmes faits". Ainsi donc, si cela perdure, l’avenir des études supérieures en Guinée serait gravement compromis. Le pays ne pourrait plus produire des cadres supérieurs et les universités n’existeront que de nom. Voilà pourquoi il est urgent que les autorités se débarrassent de leur orgueil et de leur complexe de supériorité en faisant appel aux étudiants pour dialoguer et mettre un terme à ces grèves. Permettre une bonne formation aux étudiants de Guinée, c’est investir dans le développement et la paix.
TOURE Fodé Saliou : Quels sont vos rapports avec les nouveaux radiés du campus principal de Conakry suite à leur grève contre le régime d’externat ?
Félix Lamah : Les nouvelles de la Guinée nous parviennent par les ondes des radios et par les sites d’information tels que Guinea-forum (www.guinea-forum.org) et Aminata.com (www.aminata.com). Alors vous comprenez par là que nous n’entretenons pas de rapports particuliers avec les radiés de Conakry. Mais seulement, nous sommes de coeur avec eux car étant aussi des radiés. Nous faisons de notre mieux pour les aider à ce faire entendre. C’est par exemple le cas de la lettre ouverte au Premier Ministre.
TOURE Fodé Saliou : Dans nos campus, les étudiants font beaucoup de luttes sans aucune victoire. Qu’est-ce qui est selon vous à la base de cet état de fait?
Félix Lamah : La victoire vient au bout de l’effort et tous les sacrifices consentis par les étudiants depuis longtemps verront un jour leur concrétisation car la lutte menée est noble puisqu’il s’agit de l’avenir de la relève de demain. Les autorités sont conscientes des réalités dans les universités mais ils se refusent par orgueil et par méchanceté de mettre du leur pour résoudre ces problèmes. Sinon, pourquoi ils ont tous envoyé leurs enfants étudier en Occident. Ils savent bien que la formation supérieure en Guinée est médiocre si je pus me permettre le mot. Par ailleurs, il y a lieu de signifier l’attitude notoire et inconsciente de certains étudiants qui pensent bien faire en se laissant manipuler par les autorités pour déjouer les grèves.
TOURE Fodé Saliou : Nos autorités universitaires farouchement hostiles aux mouvements d’étudiants n’hésitent pas à utiliser la main forte aboutissant parfois à la radiation pur et simple des pauvres étudiants qui réclament seulement de meilleures conditions de vie et d’études.
Que proposeriez-vous avec insistance pour mettre fin à ces pratiques qui ternissent l’image de l’éducation guinéenne?
Félix Lamah : La première proposition est qu’ils doivent maintenant libérer ceux qui sont injustement incarcérés dans les prisons et remettre les étudiants radiés dans leur droit. La deuxième proposition est que la Justice doit veiller au respect de la loi surtout concernant la Franchise Universitaire. Le campus ne saurait être un lieu d’application ou d’exercice de la formation militaire. Les étudiants sont à respecter et sont capables de dialoguer. La pratique de l’intimidation et de bastonnade, si elles étaient des solutions viables, auraient pu mettre fin à ces grèves. Mais au contraire elles aggravent. La dernière proposition serait la révision des cadres de l’éducation guinéenne en commençant par les Recteurs.
TOURE Fodé Saliou : Pour Terminer, comment voyez-vous votre futur et celui des radiés de l’institut de Faranah et du campus principal de Conakry?
Félix Lamah : Nous nous battons en ce moment afin que dans le futur nous puissions être des fils utiles à la Guinée. J’exhorte nos amis radiés de Faranah à ce même combat. Certes, le parcours sera dur mais nous y arriverons à coup sûr pour un jour prouver le désir qui nous anime de voir la Guinée au même diapason que les autres nations développées. Le campus principal de Conakry, quoi qu’il puisse advenir connaîtra des jours meilleurs parce qu’il est impossible de l’assombrir.
TOURE Fodé Saliou : Avez-vous un appel à lancer ?
Félix Lamah : Les étudiants guinéens doivent s’unir davantage et comprendre l’urgence qui s’impose en matière de formation de qualité pour redorer notre image car en toute sincérité nos diplômes ne valent pas grand chose en dehors de notre pays. Seule l’union indivisible pourra permettre un respect à notre endroit. Que les autorités acceptent enfin le dialogue avec les étudiants et mettent fin aux poursuites judiciaires et policières.
Contact :
Coordination des Etudiants de Kankan (C.E.K) en exil
E-mail: [email protected]
Téléphone: 00 221 527 66 23