Faut-il supprimer le baccalauréat en Côte d’Ivoire ?
Dans notre Côte d’Ivoire à la fois refondée et effondrée, on n’en est pas à une contradiction près ! Prenons à titre d’illustration les résultats des examens à grand tirage-session 2010- qui sont à tous points de vue catastrophiques. Intéressons-nous tout particulièrement au baccalauréat (le bac) qui, avec un taux de réussite d’un peu plus 25%, " sacrifie " quelque 150.000 candidats sur un total de 197.000 prétendants à l’acquisition du célèbre parchemin ! Cette tragédie, curieusement, n’aura guère d’écho dans un pays empêtré comme on sait dans sa petite et interminable guerre.
Et pour cause, tous les responsables de ce qu’il faut bien appeler notre " système éducatif " et leurs partenaires naturels que sont les parents d’élèves savent bien que ces taux d’échecs sont courants depuis cinq ans au moins sans qu’on crie au scandale ! Bien plus, cette année, conformément à la logique paradoxale devenue une spécialité ivoirienne, les " patrons " de l’Education nationale se sont vu féliciter pour les résultats sans doute flatteurs ainsi obtenus. Cet acte est attesté par le tout dernier conseil des ministres, tenu à la mi-juillet 2010.
Et pourtant, tout autre devrait être notre comportement devant ce qui, après tout, pourrait et devrait être assimilé à un drame national. Les raisons : le bac consacre tout à la fois la fin des études secondaires et le début des études supérieures. Ses inventeurs le conçurent comme devant être un diplôme de prestige à même de conférer à l’individu les plus hautes valeurs de morale, d’éthique et de démocratie d’une part et d’en faire d’autre part une élite compétente et responsable à même d’impulser le développement national. Quoi de plus normal pour Napoléon qui l’inventa en 1808 et qui rêvait d’être à la tête d’une France conquérante et maîtresse de l’Europe ! Quoi de plus responsable également pour un pays meurtri et défiguré comme la Côte d’Ivoire qui devra s’obliger à une " Reconstruction " rigoureuse et dynamique en misant sur une jeunesse aguerrie et consciencieuse, de s’en saisir. On comprend donc difficilement le peu de cas qui est fait de notre jeunesse dans le contexte actuel car la tragédie du bac traduit l’échec cuisant de notre système national de formation des élites. Le système laudateur qui est le nôtre devra au contraire ouvrir les yeux aux réalités du monde actuel afin de corriger ce qui mérite de l’être. Tout le monde sait que dans un système éducatif digne de ce nom, c’est à au moins 70% de réussite qu’on devrait s’attendre lorsqu’on organise un examen comme le baccalauréat. En France, ce sont 80 à 90% des candidats au bac qui finissent par décrocher le fameux diplôme de tous les rêves. Là-bas, ce sont quelque 500.000 candidats ou plus qui prennent part chaque année à la compétition. Pour quelles raisons n’en ferions-nous pas autant ? Rappelons à toutes fins utiles que dans les années 70, de tels scores de 70% ou plus ont pu être obtenus en Côte d’Ivoire.
Les statistiques sont à notre disposition qui prouvent à l’évidence que les résultats aussi médiocres que ceux de ces quatre dernières années traduisent le malaise ou disons le mal qui gangrène toute la société ivoirienne. Quel miracle peut-on demander à un système scolaire tiraillé par les enjeux ou autres dissensions politiques, un système en manque de moyens et de repères, où la démotivation se fait sentir à tous les niveaux ? Comment feindre d’ignorer l’environnement délétère et dégradé dans lequel baigne l’école, allant des nuisances comme le déversement des déchets toxiques aux recrutements fantaisistes à double vitesse générés par notre " crise nationale ", en passant par les délestages électriques intempestifs, les grèves à répétition, l’incivisme, l’immoralité.
Non, nous ne pouvons ni ne devons " supprimer le bac " ! Il nous faut au contraire retrouver le chemin de la vertu qui mène à une école d’élite où le mérite, le vrai est reconnu et célébré. A sa manière, le régime du PDCI-RDA a misé sur un tel pari et l’a réussi, dans le contexte qui est le nôtre en Afrique. La Réforme dite Usher est là qui nous interpelle constamment ; les améliorations initiées par Bédié comme le Pasef, la décentralisation universitaire ne sont pas une vue de l’esprit. L’Education étant un secteur où les réformes sont quelquefois dépassées avant même que d’être appliquées, a besoin, le moins qu’on puisse dire, de programmation et de plans savamment conçus. Y-a-t-il aujourd’hui une planification du système éducatif ? Non.
Des slogans, il en existe assurément comme l’école gratuite et l’abrogation de l’uniforme ! Il est grand temps cependant pour que la nation se ressaisisse et prenne au sérieux les problèmes qu’engendre le système scolaire si on n’entend pas compromettre l’évolution de ce pays dans les décennies à venir. Qu’on se le dise, les résultats désastreux enregistrés à ce jour, auront les répercussions perverses jusqu’en 2030 ou 2040 au moins. Comme pour dire qu’on ne sacrifie pas en vain, la jeunesse d’un pays. Déjà en 1995, le candidat du PDCI-RDA, le président Bédié, avait prévenu : Le danger le plus imminent susceptible de porter atteinte à la nation est la non maîtrise de la croissance démocratique et partant de la jeunesse et de son devenir dans les 25 ans à venir. L’a-t-on suffisamment compris ? Ressaisissons-nous donc en conférant à l’école toutes ses lettres de noblesse. Le PDCI-RDA qui a conçu et implanté l’école ivoirienne moderne a un plan pour l’école, ne l’oublions pas.
Tiacoh Carnot, membre du Bureau politique du PDCI-RDA, Secrétaire national du PDCI-RDA chargé de l’Education nationale et de la Recherche scientifique.
E-mail : [email protected]
28 juillet 2010
Source: Le Nouveau Réveil