Emigration des Burkinabè au Gabon

"Une aventure restée toujours incertaine"
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L’aventure des Burkinabè qui se sont rendus au Gabon, pour y travailler et gagner leur vie paraît aujourd’hui plus préoccupante que singulière. Si nos compatriotes ont découvert d’autres personnes, une civilisation et des mœurs différentes dans ce pays, il faut savoir qu’ils y vivent une situation communautaire quelquefois pas très facile. Une interview que Sidwaya a accordée à un ancien responsable de la communauté burkinabè ayant résidé au Gabon, Jean-Noël Sanou, donne des éclaircissements sur cette aventure que de nombreux Burkinabè qualifient d’émigration encouragée, mais mal maîtrisée.

Sidwaya (S.) : Pouvez-vous vous présenter à notre lectorat pour vous faire connaître et mieux comprendre les réalités que vous évoquerez dans notre entretien ?

Jean Noël Sanou (J.N.S) : Je suis électromécanicien. J’ai séjourné plus de 25 ans au Gabon. Je garde de mon souvenir dans ce pays, la satisfaction d’avoir été un des responsables ayant animé la vie de la communauté burkinabè dans cette terre étrangère. Au pays de Ondimba d’Omar Bongo, j’ai activement milité pour une réinsertion effective de mes compatriotes dans leur communauté d’accueil. La lutte par moments, devenait un peu difficile, parce que se développaient des syndromes de xénophobie dans les filières aux emplois rémunérateurs. J’ai mené cette lutte avec des confrères burkinabè, mais souvent découragé, j’ai alors pris la décision de revenir au Burkina, pas pour rester les bras croisés, mais pour participer a la dynamisation du combat engagé par la communauté burkinabè pour leur meilleure réintégration sociale au Gabon. Nous avons même mis en place, pour ceux qui sont restes au Gabon, un comité pour gérer une cellule, appelée. Comité de réflexion de la vie communautaire des ressortissants burkinabè, résidant au Gabon. De ce comité, je suis le seul à être rentré au Burkina, sur 5 personnes à qui l’on a confié la charge de diriger ce mouvement patriotique. Au départ de notre lutte, nous avons obtenu gain de cause parce que le gouvernement gabonais ignorait combien de Burkinabè vivaient sur son sol. Mais dès qu’elles se sont rendues compte de la présence jugée nombreuse de nos compatriotes dans leur pays, les autorités tout comme certaines catégories de populations ont commencé à manifester des comportements inquiétants a notre endroit. C’est à partir de ce moment, que la communauté burkinabè installée au Gabon vivra des difficultés pour cause de non-emploi des travailleurs immigrés et d’immigration clandestine. Face à ces difficultés que nous avions considérées un peu sérieuses, le ministère burkinabè en charge des Relations extérieures a été saisi et le ministre Youssouf Ouédraogo, le premier responsable de ce département est même venu s’imprégner de nos problèmes à Libreville. Le président du Faso, lors d’un voyage officiel au Gabon, s’est préoccupé de notre situation en rencontrant les premiers responsables de notre communauté expatriée.

S. : Des Burkinabè qui vivaient au Gabon sous la Révolution burkinabè d’août 1983, soutiennent que les autorités de ce pays vous ont créé des problèmes pour la confection de vos fiches d’identification lorsque notre pays a change de nom. Qu’en dites-vous ?

J.N.S : Avec l’avènement de la Révolution d’août 1983, on nous a exigé le changement des documents ayant permis notre installation au Gabon. Plus de 4 000 Burkinabè ont alors pu se mettre à jour pour régulariser leur situation, ce qui leur a donné une certaine fierté de vivre en pays étranger. Ces problèmes, surtout d’ordre administratif que nous avons pu assumer, ne nous ont pas empêché de nous faire considérer comme une communauté intégrationniste. Seulement ,il ne faut pas oublier de mentionner que nos problèmes au Gabon, peuvent aussi s’expliquer par la fermeture de certaines sociétés de ce pays due au PAS et au contexte économique difficile du pays depuis le début des années 90.

S. : Avez-vous eu des contacts réguliers avec les autorités de votre pays pour régler aux plans diplomatique et administratif, les conditions de votre séjour au Gabon ?

J.N.S : Quand j’étais au Gabon, on n’avait pas de rapports officiellement scellés avec les autorités de notre pays. Nous étions plutôt rattachés à l’Ambassade de France qui s’occupait de nos cartes consulaires. Nous avons mené des actions de luttes multiformes conséquentes pour avoir un consulat au Gabon. Nos luttes multiformes pour cela , ont reçu le soutien de l’ambassade de la France.

S. : Vous estimez à combien, le nombre des Burkinabè vivant au Gabon ?

J.N.S : Je crois qu’après le départ des volontaires comme moi qui sont rentrés au pays suite à cette vie qui devenait incertaine au Gabon, on peut estimer la communauté burkinabè qui s’y trouve à plus de 4 000 personnes.

Ceux qui ont pu regagner le Burkina ont bénéficié de quatre rotations d’avions affrétés par le gouvernement burkinabè, plus un bateau demandé à l’ Angola pour prendre des biens et des personnes. Nous en sommes reconnaissants pour cela à nos autorités.

S. : Comment expliquez-vous que dans ce contexte de vie pas facile, des expatriés burkinabè qui ont des emplois précaires ou qui n’ont plus le minimum pour vivre, refusent de regagner leur pays ?

J.N.S : Ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas rentrer chez eux. Certains ont acquis des biens qu’ils ne peuvent pas abandonner pour des raisons financières au Gabon. On peut expliquer cela aussi par le fait que tout départ lointain ou déportation vers un pays d’origine, s’accompagnent d’exigences administratives, consulaires, diplomatiques et sociales à satisfaire .Ce qui peut faire davantage comprendre pourquoi il y a problème pour des Burkinabè vivant au Gabon à regagner au besoin, leur propre pays lorsqu’ils ne sont pas satisfaits de leurs conditions de séjour. Je vous demanderai par exemple si un Burkinabè rentre chez lui, alors qu’il n’y a rien construit, chez qui va-t-il dormir quand on sait que le problème de logements est aujourd’hui réel au Burkina. Il faut ajouter à cette situation les préoccupations des autorités burkinabè pour le rapatriement de nos compatriotes qui se sentaient menacés en Côte d’Ivoire et le fait que beaucoup d’expatriés burkinabè vivant aujourd’hui au Gabon, ne connaissent plus leurs familles .

Au départ, on disait que les Burkinabè qui allaient au Gabon, s’y rendaient pour soutenir une politique de procréation qu’encourageaient le autorités de ce pays. Il faut savoir que le Gabon est un petit pays sous-peuplé et très riche, qui attire pas mal d’étrangers. Les femmes là-bas sont plus nombreuses que les hommes et les autorités dans ce pays ont encouragé à un certain moment, une surpopulation pour convaincre de la nécessité d’ une population en nombre
bien équilibré pour assurer le développement normal de la démographie. Si les naissances ont connu un bond vertigineux au pays de Odimba Omar Bongo, les procréateurs burkinabè ne reviennent pas avec leurs enfants et leurs épouses , alors que nos compatriotes y tiennent. Le problème se complique davantage quand les hommes ayant épousé des Gabonaises attendent des billets d’avion pour ramener au Burkina au moins 6 personnes. Voilà pourquoi
beaucoup préfèrent rester au Gabon avec leurs enfants et leurs femmes pour qu’ils atteignent l’âge de maturité.

S. : Pour les Burkinabè qui ont regagné leur pays, comment sont gérés leurs problèmes de pension ?

J.N.S : Il y a des accords entre le Burkina et le Gabon, au niveau de leurs caisses de sécurité sociales respectives pour que ceux qui sont rentrés volontairement soient traités comme il se doit. Les deux institutions devraient normalement pouvoir gérer cette situation. Ces gens qui ont quitté volontairement le Gabon, avant l’âge de la retraite, doivent a notre humble avis, pouvoir trouver des services pour les employer jusqu’à l’âge normal de la retraite. C’est un combat que nous avons engage et nous espérons que les ministères en charge du Travail nous soutiendront.

Toutefois, il faudrait que les gens qui sont rentrés sachent ou revendiquer leurs droits et beaucoup parmi eux, ignorent malheureusement leurs droits. Nous savons dans tous les cas, que l’Etat gabonais a déjà débloqué une partie de l’argent pour le payement des travailleurs concernés rentrés au pays.

S. : Quels conseils donneriez-vous à un Burkinabè désirant se rendre maintenant au Gabon ?

J.N.S : C’est mieux que chacun reste chez soi, parce que c’est plus sûr pour sa sécurité et son bien-être. C’est aussi vrai qu’il existe des accords entre les pays de l’Union africaine pour une circulation sans problème en matière d’immigration, mais concernant le cas gabonais que je connais, il n’est pas pour le moment bien sage de conseiller à un Burkinabè d’aller là-bas, parce que les conditions de travail se sont sérieusement dégradées pour un avenir prometteur.

A chacun alors au regard de ce que j’ai vécu et raconté, de se faire le jugement positif qui s’y prête.

S. : Votre dernier mot à l’adresse de ceux qui vous ont écouté.

J.N.S. : La communauté burkinabè vivant au Gabon, veut tout simplement que les autorités de leur pays ne restent pas sourdes à ce qu’elle attend d’elles. Nous avons quelquefois eu l’impression qu’on nous a oubliés .Mais le président
Blaise Compaoré que je désire rencontrer, nous avait rassurés à Libreville que le sort des Burkinabè vivant à l’extérieur sera toujours examiné avec une attention très particulière.

lnterview réalisée
par Augustin BANDE

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