SENEGAL – Emigration à Louga : Quand partir devient une obsession chez les jeunes
C’est connu, la capitale du Ndiambour est devenue au fil des années une importante zone d’émigration. A tel point que le rêve des jeunes garçons c’est avoir le visa, ce fameux sésame qui permet de quitter le pays. Alors que pour la majorité des filles épouser un émigré qui lui offrira villa, argent et habits, relève presque de l’obsession. Mais aussi que de drames liés à l’émigration.
A Louga, il existe deux types d’émigrés : Les « gauchers » et les « goorgorlu ». Les premiers se caractérisent par leur aisance financière et matérielle : voiture de luxe, villas insolentes, dépenses incontrôlées dans les cérémonies de tout genre, gaspillage au gré des fantaisies…
Les seconds sont par contre des émigrés ordinaires, leurs dépenses se font de façon modérée voire économe. Ils mettent trois fois plus de temps que les premiers à amasser de l’argent en Europe. Leurs maisons se construisent étape par étape après plusieurs séjours à l’étranger.
Là où les gauchers élèvent d’un seul coup de somptueux palais et semblent ramasser de l’argent à la pelle, les seconds peinent à faire fortune.
Où se trouve donc l’explication de cette différence ?
Évidemment dans le métier. Les premiers sont souvent des vendeurs de drogue. Et il n’a-y rien de plus rapide pour un homme de s’enrichir que de vendre de la drogue, en dépit des risques qui n’en valent pas le coup. Les autres émigrés sont de véritables « goorgorlu » qui amassent de l’argent à la sueur de leur front.
Si à Louga beaucoup de gens ne rêvent que de l’émigration, c’est pour une bonne part à cause des émigrés « gauchers » et de l’image qu’ils donnent de l’Europe une fois au bercail. A les voir évoluer au pays, on a l’impression qu’en Europe la vie est belle, trop belle et que l’argent se ramasse à la pelle.
Par rapport au travail en Europe, un émigré témoigne : « En Italie, il y a plusieurs possibilités de gagner sa vie. Certains étrangers sont dans les champs, d’autres dans les usines ; d’autres encore comme moi préfèrent vendre des articles divers : montres, bracelets, ceintures, etc.… Mais à côté de tous ces gens qui travaillent à la sueur de leur front, il y a les vendeurs de drogues, que l’on surnomme ici les « gauchers ».
A savoir pourquoi les gens s’adonnent-ils à leur risque et péril à la vente de drogue, M.B. : répond : « L’argent, c’est l’unique explication. Les gens sont pressés de s’enrichir… L’argent et les mauvaises influences. »
M.B. nous raconte comment son cousin et voisin de chambre dans leurs premiers moments en Europe, a atterri dans la drogue : « pendant un mois, on vendait à la sauvette à Brescia. Un soir, mon cousin Modou a eu son père au téléphone. Celui-ci lui demanda ce qu’il faisait à Brescia ? Il devait être certainement un fils indigne de lui, poltron, sinon, il serait déjà à Milan comme ses cousins pour faire comme tout le monde : c’est -à -dire vendre de la drogue. »
M.B. nous dit que le père n’avait de cesse de harceler son fils au téléphone en lui demandant de quitter Brescia et d’aller là où la drogue se vend. Il nous assure que Modou était continuellement tancé par son père au téléphone. Un discours toujours plus agressif et plus persistant, pressé fut-il de voir son fils amassé beaucoup d’argent. A la question de savoir comment s’est terminée cette affaire, M.B. ajoute : « Un soir mon ami Modou a ramassé ses affaires pour descendre vers Milan. Depuis lors, je ne l’ai plus revu. Mais j’ai appris qu’au bout de trois mois à Milan, il a réussi à acheter un terrain et à construire une belle villa à Louga. Et il envoyait régulièrement de l’argent, beaucoup d’argent à ses parents. Un jour, je ne sais comment, il a été arrêté et écroué. Depuis, il croupit en prison. Sa mère avec qui j’ai discuté récemment est très malheureuse. Je n’ose pas lui dire que quelque part son mari et responsable de cette situation »
UN PHENOMENE QUI ETRANGLE L’EDUCATION
Par ailleurs un jeune chômeur à Ndiang nous donne sa pensée sur sa question. « Le phénomène de l’argent de la drogue ne préoccupe personne l’essentiel c’est d’avoir de l’argent peu importe le reste. C’est un constat avéré. L’argent ouvre toutes les portes. Je vous donne mon exemple actuellement, je suis insignifiant dans mon quartier parce que je ne suis pas un émigré ; je n’ai même pas de passeport. Il y a deux ans de cela une fille avec qui je sortais, a été livrée en mariage à un « Modou-Modou ». Nous aussi nous serons un jour « Modou-Modou ». Mais je ne peux pas dire que je vendrais ou non de la drogue : Tout dépend de la situation. »
En définitive, une chose est sûre, l’émigration à Louga est un phénomène salué de tous et qui fait rêver beaucoup de jeunes. Grâce aux milliards envoyés chaque mois via les banques, Western Union, la Poste, etc.… Ces revers semblent peu préoccuper la plupart des Lougatois.
L’immigration affecte l’éducation nationale à Louga, à plusieurs niveaux. Dans les établissements secondaires, les enseignants sont unanimes à reconnaître le peu d’intérêt que les élèves, particulièrement les garçons, portent aux études. « La plupart d’entre eux – nous dit un enseignant, ne sont présents en classe que physiquement ; ils ont la tête et le cœur ailleurs. L’école les préoccupe peu. Ils rêvent de partir et les études restent ainsi un simple passe-temps pour eux, une occupation dans l’attente de l’obtention du visa. »
Le phénomène demeure préoccupant ce qui amène certains à affirmer : « Si la tendance actuelle se poursuit dans les années à venir Louga risque d’être en manque d’intellectuels dignes de ce nom ».
D’ailleurs, au vue des résultats scolaires, le constat est éloquent, les filles travaillent mieux à l’école que les garçons qui ont d’autres types de préoccupation.
Au lycée Malick Sall de Louga, un professeur nous dit avoir dans une de ses classes 35 filles sur un total de 50 élèves environ. Certes, il s’agit d’une classe, mais le fait est révélateur dit-il. Le professeur poursuit son analyse en affirmant que même le projet de la scolarisation des filles devrait être relativisé à Louga à cause du phénomène de l’émigration. Sinon on risque dans le long terme, de constater l’effet inverse. »
Cependant il faut signaler que ce n’est pas seulement les élèves qui succombent à la tentation d’émigrer.
En effet, les enseignants ne sont pas en reste. Pour preuve, chaque année au moment de la rentrée scolaire l’inspecteur d’Académie constate l’absence de quelques enseignants. Ces professionnels de la craie, déserteurs, partent à l’étranger pour ne plus servir. C’est le cas nous signale-t-on d’un jeune inspecteur de l’éducation à Kébémer qui est parti depuis bientôt trois ans.
Par ailleurs, à côté de ceux qui partent sur la pointe des pieds et sans jamais revenir, il y a les enseignants « Modou-Modou ». C’est cette catégorie de travailleurs qui profitent de leur congé de grandes vacances pour voyager et qui peuvent gagner en Europe, en trois mois, plus que ce qu’ils gagnent en un an au Sénégal ne risquent-ils pas un jour de franchir le rubicond, c’est-à-dire faire comme les autres en abandonnant leur poste au Sénégal pour se sédentariser en Europe ? Tout porte à le croire au vu des misères de salaire au Sénégal et des opportunités qui s’offrent en Europe.
L’IMMIGRATION SE FEMINISE
A Louga, de plus en plus, on constate que l’immigration des femmes prend de l’ampleur.
En effet, devant la difficulté d’obtention de visa par les hommes, les femmes semblent bien vouloir prendre le relais. Et la plupart d’entre-elles sont des célibataires, de vieilles filles, des divorcées ou tout simplement des dames de « Modou-Modou ». Elles partent en Europe pour aller chercher du travail ; leurs possibilités d’emploi restent aussi variées que celles des hommes émigrés. Et d’ailleurs, bon nombre d’entre elles investissent les métiers liés à la coiffure et aux tresses. Un secteur, dit-on, bien rentable.
Khady une dame qui habite Santhiaba donne son point de vue sur la question : « vous savez, devant la conjoncture les mariages se raréfient, il nous faut, alors chercher des issues de prises en charges personnelles ; l’immigration constitue une voie assez fructueuse. »
Elle donne ainsi le cas d’une jeune fille émigrée en Italie qui a envoyé récemment de l’argent à son amant sans emploi pour célébrer leur mariage. Et les gens disent que sûrement que la nouvelle mariée va se battre pour amener son homme à l’étranger.
De toutes les façons, nombreux sont ceux qui trouvent normale cette situation dans un pays où les hommes jeunes et valides ont toutes les difficultés du monde à trouver un emploi à plus forte raison le sexe faible.
D’ailleurs nombre de filles acceptent de convoler en noce avec les « Modou-Modou » dans l’unique espoir de pouvoir quitter le pays un jour. Ce que les émigrés acceptent de moins en moins à cause de l’expérience qui a prouvé qu’une bonne partie de ses émigrées se débarrassent de leur mari une fois hors du Sénégal.
DIVORCES ET ADULTERES SE MULTIPLIENT
S’il y a un phénomène sur lequel les gens s’accordent volontiers pour reconnaître ses bienfaits : il s’agit bien de l’immigration. L’immigration avec ses belles villas, ses belles voitures et une folle apparence d’aisance et de luxe…
Cependant, à trop s’émouvoir des attraits de l’immigration, on oublie souvent de parler de ses revers. Lesquels revers sont souvent source de tensions, de conflits et même de drames qu’on essaie d’étouffer pour des raisons de famille et d’honneur. Et de tous les revers, le plus récurrent reste la prostitution clandestine. En effet, nombreux sont aujourd’hui les femmes d’émigrés qui se prostituent au quotidien avec beaucoup de tact et de discrétion.
Les raisons d’une telle attitude sont souvent à chercher dans une longue absence des hommes lougatois et généralement ces émigrés sont des polygames de 3 à 4 épouses. Ils partent à l’étranger pour trois à cinq ans voire plus, laissant derrière eux de jeunes épouses à l’age de l’épanouissement. Nombreuses d’ailleurs sont celles qui après les premières nuits nuptiales ne reverront leur mari que trois ans plus tard.
Et ses fleurs nubiles soifs de tendresse et de chaleur masculine se débattent de désirs sexuels devant les nuits d’une attente interminable.
Alors les plus audacieuses et les moins préparées à ce calvaire finissent par franchir le rubicond de l’interdit : la fornication. Elles cèdent à la tentation de séduire ou de se laisser séduire. Ainsi à Louga, les cas d’adultère se multiplient de jour en jour. Et tout Lougatois résident peut facilement raconter des incidents du genre qu’il a vus ou entendus de sources sûres dans son entourage.
D’ailleurs récemment un émigré en Italie a divorcé d’avec une de ses épouses, après 4 ans de mariage pour cause d’infidélité avérée de cette dernière. Mais ce cocu d’immigré a la chance de savoir la vérité sur son propre compte contrairement à d’autres qui sont trompés au quotidien. C’est le cas de B. D. qui est actuellement au bercail en train de se délecter avec ses 4 épouses et son magnifique 4×4 alors qu’il est le cocu des cocus. Tout le temps qu’il a été en détention pour vente de drogue ses dames trouver moyen de le faire remplacer par de solides gaillards du coin.
A.S marchand de son état, nous rapporte avoir la surprise de sa vie en voyant un jour sa propre cousine débarquer dans sa chambre avec 3000 francs et deux préservatifs en demandant à assouvir un désir charnel. A.S. n’ayant aucunement le choix devant une dame déterminée à coucher avec lui à tout prix, prête même à l’accuser de violeur en cas de refus, a préféré céder.
A Santhiaba un jeune chômeur a engrossé l’épouse de son grand frère émigré en Italie. Et cette affaire a failli passer inaperçue n’eut été la vigilance du garçon qui a vu la dame enterrer le nouveau-né. L’aîné de retour au bercail après une longue absence a divorcé de sa jeune épouse et a fait bastonner son jeune frère à mort avant de le chasser de la maison.
Un reportage de KHADIM TALL (Correspondant permanent)
Source : http://www.lesoleil.sn