Le bel hommage à Miriam Makeba, "Mama Afrika"
Paris, capitale des musiques du monde ? Oui, toujours et encore, aussi sûrement que l’Afrique est un épicentre de l’élégance féminine – drapés, voilures, jeans moulants, talons hauts, épaules nues, cheveux rasés ou coiffés en perles et papillotes.
Au Cirque d’hiver de Paris, vendredi 25 septembre, c’est un festin. Elles sont cinq femmes africaines à rendre un hommage à "Mama Afrika", la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba, décédée il y a presque un an, le 9 novembre 2008, à l’âge de 76 ans. Respectant le cahier des charges de son édition 2009, sous-titré "ElleS, musiques au féminin", le Festival d’Ile-de-France a demandé à la chanteuse Angélique Kidjo, franco-béninoise qui vit aux Etats-Unis, d’organiser la rencontre. La salle, en gradins circulaires, pourpre et or, est toujours aussi belle, elle inspire. Angélique Kidjo porte une tunique rouge à festons bleus, à la façon des dompteurs de fauve.
Le fauve, version Makeba, est un lion qui meurt le soir. En 1960, pour son premier album américain chez RCA, la Sud-Africaine enregistre une vieille chanson zoulou, Mbube, composée en 1939 par Salomon Linda (qui mourra dans l’indigence). Quelques années plus tard, le grand prêtre du folk américain Pete Seeger découvre cette chanson via l’ethnomusicologue Alan Lomax et en donne son interprétation, rebaptisée Wimoweh.
En 1961, un groupe de Brooklyn, The Tokens, en fait The Lion Sleeps To Night, qui devient un énorme tube. Salomon Linda est rayé de la carte des auteurs, et Mbube gagne un gimmick imparable : "A-wimoweh, a-wimoweh a-wimoweh, a-wimoweh…"
Angélique Kidjo et Miriam Makeba ont des points communs. Comme son aînée, la Béninoise, née en 1960, aime la rigueur et le respect. Elle commence donc le concert avec Mbube, mais dans sa version première, mélodie limpide, celle de Salomon Linda. Angélique Kidjo est sûrement l’une des plus belles voix africaines d’aujourd’hui, et possède la même droiture de timbre que Makeba.
Ni l’une ni l’autre ne sont ou n’ont été des chanteuses traditionnelles. Née à Johannesburg, où le jazz sud-africain a explosé, Miriam Makeba a été inspirée par toutes les formes de modernité, pop comprise, rumba et calypso inclus. Ses chansons les plus célèbres sont d’ailleurs les plus alertes d’apparence – de Retreat Song (1960) à Pata Pata (1967). On peut y lire l’influence d’Harry Belafonte, le "roi du calypso", très fortement engagé dans la défense des valeurs de la communauté noire.
En 1966, Miriam Makeba est la première femme africaine à obtenir un Grammy Award pour un album qu’elle a enregistré avec Harry Belafonte, An Evening with Belafonte/Makeba, qui évoque notamment les souffrances des Noirs pendant l’apartheid. Il faudra attendre quarante-deux ans pour qu’une Africaine obtienne à nouveau la récompense américaine : ce fut Angélique Kidjo, en 2008, pour son album Djin, Djin.
Pata Pata met la salle debout. Sur la piste, ces dames dansent une sorte de twist balancé et voici déchaînées les complices de Kidjo : la Guinéenne Sayon Bamba Camara, un peu loubarde ; l’Ivoirienne Dobet Gnahoré, voix remarquable ; la Malienne Rokia Traoré ; la Nigériane Asa, 27 ans, grosses lunettes et style vocal passé par le hip-hop. Il y a aussi un homme, Vusi Mahlasela, un chanteur folk à la voix haute, originaire de Pretoria. Et un choeur sud-africain.
Entre les chansons, on parle un peu. "En 1969, ma mère avait fondé à Cotonou un groupe pour le droit des femmes, et avait mis des paroles en fon sur The Retreat Song, explique Angélique Kidjo. La première vedette africaine que j’ai admirée fut la Togolaise Bella Bellow, morte le 10 décembre 1973 dans un accident de la circulation à l’âge de 27 ans. Elle m’a montré qu’en Afrique on pouvait être chanteuse sans être prostituée, contrairement aux idées reçues. Puis est arrivée Miriam Makeba. Elle m’a rendu ma dignité de femme et d’artiste."
Miriam Makeba fut une chanteuse militante jusqu’à sa mort, cinq jours exactement après l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, ce qui représentait beaucoup pour cette égérie de l’égalité raciale, amie de Luther King et qui épousa "par amour", en 1969, Stokely Carmichael, l’un des leaders des Black Panthers.
Inscrite sur une liste noire aux Etats-Unis, elle s’installe avec son mari en Guinée, que dirige alors le président dictateur Sékou Touré.
Miriam Makeba est morte près de Naples, à l’issue d’un concert de soutien à l’écrivain italien Roberto Saviano que la Mafia traque depuis qu’il l’a dénoncée dans Gomorra, livre à succès devenu film. Et pour que la paix soit sur Miriam, ses héritières panafricaines lui offrent au Cirque d’hiver une soyeuse Malaïka, sublime berceuse kényane, qu’elle chantait en swahili.
Source:
LE MONDE | 26.09.09 |
Véronique Mortaigne