Comment passer du back-office au front office ?
La Tribune – édition électronique du 04/22/05 à 17:03
C’est le rêve de nombreux settlements clerks, contrôleurs de produits et spécialistes du risque ou des nouvelles technologies: quitter le relatif anonymat du back ou du middle office d’une banque d’affaires pour devenir trader ou vendeur, fonctions nettement mieux rémunérées.
Est-ce réaliste? Pas vraiment, nous répondent ceux qui connaissent bien le domaine. "De nombreux candidats qui nous envoient leur CV aspirent au changement", explique Shaun Springer, PDG de Napier Scott, cabinet de recrutement spécialisé dans les marchés de capitaux. Mais "nous ne pouvons même pas imaginer présenter un employé de back office à un poste de front office."
Anne Tinsley, consultant chez Morgan McKinley, spécialiste du recrutement en back et middle office, est également sceptique. "Il y a encore dix ans, il était beaucoup plus facile de passer du back office au front office. Ce changement est aujourd’hui devenu particulièrement difficile."
Quelles en sont les raisons ? Les produits de plus en plus complexes et les nouvelles formations destinées aux jeunes diplômés seraient en partie responsables, affirment les recruteurs. Maintenant que des jeunes diplômés d’universités prestigieuses sont spécialement formés à l’art du trading de produits obligataires dérivés exotiques, les outsiders sont moins à même de percer dans ces métiers. Cela ne veut cependant pas dire qu’une telle mutation est impossible.
Que faut-il faire ?
Si vous souhaitez réellement abandonner votre poste de back office (postes d’administration et d’assistance, en particulier dans les opérations de compensation et de règlement) ou de middle office (gestion de risque, contrôle, informatique, assistanat au desk) pour occuper une fonction au front office (postes générant des gros profits tels que les ventes et le trading), les éléments suivants – pour ainsi dire indispensables – vous aideront dans votre quête:
– un supérieur hiérarchique bienveillant. La plupart des transferts vers le front office sont faits en interne. Si vous souhaitez être muté au front office, vous aurez besoin d’un appui qui vantera vos mérites.
– un poste qui vous met en contact avec des vendeurs ou des traders. Cela signifie travailler au middle office. Geoffrey de Beauregard, directeur du groupe equity chez Natexis Bleischroder à Paris, explique qu’il n’est pas inhabituel pour des employés de passer du back office au middle office et de poursuivre ensuite leur ascension.
– la jeunesse. C’est triste à dire – et cela sera bientôt également illégal -, mais les recruteurs observent qu’il est plus difficile de passer du middle office au front office si vous avez bien au-delà de 25 ans.
Que faut-il éviter de faire ?
Plusieurs paramètres pourraient rendre votre quête beaucoup plus difficile:
– travailler dans un domaine radicalement différent du front office, en particulier dans une division de la compensation ou du règlement. "Il est presque impossible de passer du settlement au front office" explique Anne Tinsley. "Vous n’avez aucune interaction avec les traders."
– faire un MBA. De nombreux employés de back office sont convaincus qu’un MBA augmentera leur chance de faire une transition vers le front office. Détrompez-vous. "Les banques ne vont pas se jeter sur un candidat qui a un passé d’opérationnel afin de pourvoir à un poste en front office pour la seule et unique raison que ce dernier a fait un MBA", affirme Andrew Hanson, directeur du recrutement chez Robert Walters. Nous avons demandé à l’école de commerce Cass Business School basée à Londres, de nous fournir un exemple d’ancien étudiant de MBA qui aurait réussi à passer du back office au front office: elle n’a trouvé personne.
– annoncer que votre rêve est de travailler au front office au cours d’un entretien pour un poste en middle ou en back office. Le seul effet possible est de décourager la banque de vous embaucher. Dans son livre "Ma vie comme analyste quant" (My Life as a Quant), Emanuel Derman, ancien directeur du groupe de stratégies quantitatives chez Goldman Sachs à New York, explique qu’il se désintéressait rapidement d’un candidat postulant à un poste de "quant" qui avouait avoir des aspirations à devenir trader. "J’avais besoin de personnes capables de faire un travail analytique élaboré", nous explique-t-il.
– envoyer votre CV à un cabinet de recrutement dans l’espoir qu’ils reconnaissent votre talent potentiel de trader/vendeur. Selon Springer, sans expérience préalable, ils ne vous mettront jamais à l’honneur. Votre CV risque simplement de finir à la poubelle.
– aspirer à passer directement du back office ou du middle office à la finance corporate et aux fusions et acquisitions. Oubliez également… "Le domaine de la corporate finance possède un programme de formation très structuré", explique Anne Tinsley de chez Morgan McKinley. "Ils embauchent les meilleurs jeunes diplômés au poste d’analyste; ces derniers deviennent ensuite associates. Il existe peu d’autres voies possibles."
De la comptabilité au trading
Etre transféré au front office peut vous sembler totalement impossible, mais il existe des solutions. Paul Canty, trader dans la division de produits dérivés sur revenus fixes de la banque d’affaires UBS à Londres, y est arrivé. Après avoir commencé une carrière d’expert-comptable dans l’activité d’audit d’Ernst & Young, Paul Canty a rejoint UBS au poste de contrôleur de produit. "Je ne souhaitais pas être trader à l’époque", explique-t-il. "A ce stade, je ne connaissais pas réellement les postes qui existaient."
Deux ans plus tard, Paul Canty s’est vu offrir un poste d’assistant à un desk de trading de fixed income. Son supérieur hiérarchique est intervenu en sa faveur et lui a assuré un poste de trader. "Le fait d’avoir une relation privilégiée avec le desk et d’avoir l’appui de mon supérieur hiérarchique m’a aidé", nous explique-t-il.
Pour Christine Morrissey, managing director et directeur du trading de produits dérivés en fixed income chez UBS, le fait pour des experts-comptables de travailler en contrôle de gestion peut constituer une bonne voie pour devenir trader: "ces personnes travaillent dur: obtenir un diplôme d’expert-comptable est un long processus". Christine Morrissey explique qu’UBS mute en général tous les deux ans un employé qui travaille dans le contrôle vers le trading de produits dérivés sur fixed income. Près de la moitié d’entre eux s’en sortent bien.
D’assistant de desk à trader/vendeur
Le meilleur tremplin afin d’accéder à un poste de front office en trading/vente est d’occuper un poste d’assistant de desk. Les assistants de desk travaillent avec les traders et vendeurs, et font tout, de la vérification de cours à la prise de contact avec le back office pour une transaction manquée en passant par la simple prise d’ordre des clients.
S’il vous semble qu’un tel poste constitue un apprentissage, vous ne vous trompez pas; Andrew Hanson de chez Robert Walters affirme que les assistants de desk étaient une source de futurs vendeurs et traders dans le passé. Ce privilège appartient aujourd’hui aux jeunes diplômés mais les bons assistants ont toujours leurs chances.
"Il s’agit de montrer de l’enthousiasme et de l’intérêt", explique un ancien assistant de desk aujourd’hui devenu trader. "Vous devez faire bonne impression et développer un réseau de personnes qui sauront soutenir votre cause." Il peut également être utile de proposer votre démission. Les banques donnent souvent une promotion aux bons assistants de desk qui menacent d’aller travailler ailleurs.
L’avantage de l’expérience
Même si vos chances de passer de spécialiste informatique ou contrôleur à trader ou vendeur sont minces, gardez à l’esprit que vous avez un avantage concurrentiel : votre expérience.
Trop d’expérience pourrait cependant vous desservir. Les banques voient d’un mauvais oeil les personnes entre 25 et 30 ans qui ont plus de huit ans d’expérience en tant qu’opérationnel et qui ont un penchant pour le trading, explique Anne Tinsley. Mais avoir un peu d’expérience n’est pas un mauvais point. "Il est souvent mieux de promouvoir quelqu’un en interne que d’embaucher un jeune diplômé qui sort à peine de l’école", explique Christine Morrissey. "Ils connaissent déjà des personnes au sein de la banque et sont moins dépendants que ne peuvent l’être les jeunes diplômés."
Enfin, pour Geoffrey de Beauregard qui travaille chez Natexis, le temps passé en back et middle office devrait être obligatoire pour travailler à la vente: "si un vendeur ne comprend pas comment sa transaction est passée, il ne devrait pas pouvoir travailler sur le trading floor." Il faut garder cela à l’esprit lorsque vous tenterez d’intégrer le front office.
par Sarah Butcher, eFinancialCareers.fr