Ces cadres africains qui retournent au pays
04/08/06
Source: http://www.lesechos.fr
Les cadres africains de haut niveau ont de plus en plus l’idée de se réinstaller dans leur pays d’origine.
Il est revenu au Sénégal pour y créer son entreprise et participer au développement. Exemplaire, le parcours de Papa Madiaw Ndiaye met en évidence une tendance : toute une génération de cadres africains, formés et travaillant avec succès en Europe ou en Amérique, brûle de retourner travailler sur le continent. Les occasions d’y parvenir sont de plus en plus fréquentes.
Jeune lycéen, Papa Madiaw Ndiaye est envoyé par son père, un expert de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), terminer son éducation secondaire dans un collège sélect du pays de Galles. Il enchaîne ensuite avec un BA à Harvard, puis se propulse à Wall Street : directement chez Salomon Brothers en 1988, époque bras de chemise, bretelles rouges, « golden boys » et « big deals ». Le démon de la finance le conduit à Wharton : MBA en poche, il entre dans le Saint des Saints, la banque d’investissement JP Morgan.
Trader vedette, il se spécialise dans un nouveau métier, la dette des pays en voie de développement. En 1994, une mission fortuite dans son pays natal change son destin. « C’était un choc, j’ai redécouvert le Sénégal avec un regard d’adulte. Je ne pouvais plus refaire du trading pur. » Il entre à la Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale, où il lance un fonds d’investissement pour l’Afrique. Puis enchaîne avec le groupe américain de capital-développement Emerging Markets Partnership, où il gère un fonds de 400 millions de dollars.
En 2005, il franchit le Rubicon en créant Afig, une société de capital-investissement africaine. « Nous préparons le lancement d’un fonds de 200 millions de dollars, avec l’objectif d’investir dans les meilleures compagnies africaines qui ont émergé depuis cinq ans. C’est le moment », affirme le volontaire Papa Madiaw Ndiaye. « Ceux qui veulent retourner en Afrique rencontrent tous la même difficulté, estime, de son côté, Cyrille Nkontchou. A un certain niveau de compétences, les pays à opportunités ne sont pas nombreux. » Financier lui aussi, MBA à Harvard, ce Camerounais de trente-sept ans s’est installé six ans plus tôt à Johannesbourg. « J’ai suivi les flux financiers », indique-t-il, la Bourse sud-africaine étant de loin la première du continent.
Dure création d’entreprise
Surfant sur la vague Internet, il y crée en 2000 LiquidAfrica, conçue au départ comme « une plate-forme de commerce électronique permettant d’ouvrir un point d’accès unique aux Bourses africaines ». Sa société a prospéré en se recentrant vers les métiers de l’intermédiation financière et les investisseurs institutionnels. Six ans plus tard, Cyrille Nkontchou apprécie les commodités de travail en Afrique du Sud, mais se trouve déconcerté par un pays « très différent du reste de l’Afrique ». Il philosophe : « J’ai appris à tirer le meilleur parti de mes expériences. »
La création d’entreprise est sans nul doute le chemin de retour le plus difficile. Les candidats préfèrent en général intégrer les rangs d’une multinationale, d’autant que la période est propice. « Contrairement à l’idée reçue, les pays africains connaissent une forte croissance économique, affirme Didier Acouetey, fondateur et associé du cabinet de recutement Afric Search. Depuis cinq à six ans, les télécommunications, les banques, l’agroalimentaire et l’énergie sont des secteurs porteurs. Les multinationales qui profitent de cette dynamique recrutent en Europe des cadres africains, pour en faire leurs dirigeants et cadres supérieurs locaux. » « A notre politique ancienne d’expatriation, nous avons substitué le recrutement en Europe ou aux Etats-Unis de collaborateurs d’origine africaine, confirme Joseph Pagop-Noupoué, directeur Afrique d’Ernst & Young Juridique et Fiscal. Ces cadres coûtent globalement de 30 % à 40 % moins cher que les expatriés, tout en présentant des compétences équivalentes. » Sur 400 professionnels du groupe en Afrique francophone, la moitié est ainsi recrutée. Et, compte tenu du taux de rotation traditionnel dans le métier du conseil, une dizaine de jeunes cadres africains diplômés sont embauchés chaque année.
Au Crédit Agricole (qui compte 1.400 salariés dans ses implantations en Afrique francophone, depuis l’intégration du Crédit Lyonnais), « le recrutement de cadres africains formés en Europe est désormais favorisé, souligne Henri de Courtivron, responsable des ressources humaines pour la banque de détail à l’international. C’est une stratégie gagnant-gagnant, d’ailleurs appliquée dans nos autres implantations à l’étranger : elle répond à l’attente de candidats motivés et ceux-ci nous apportent leurs compétences avec une sensibilité internationale. »
La position des multinationales
Anthony Samé, vingt-six ans (Sup de co Marseille, 3e cycle Essec en systèmes d’information), a ainsi eu la chance d’être embauché comme cadre commercial par Microsoft Cameroun, après deux ans d’expérience comme consultant chez IBM Global Services à la Défense. « Cela est allé vite », reconnaît-il. Après avoir participé à un forum d’Afric Search à la suite duquel il avait été contacté quelques semaines plus tard par la multinationale.
Embauché à Douala (Cameroun), Anthony Samé a perdu en niveau de salaire, mais « a gagné en qualité de vie », estime-t-il. Mais, pour lui, le plus important est ailleurs : « Je sais que je travaille, très concrètement, au développement de l’Afrique : j’ai déjà dégagé assez de ressources pour procéder à plusieurs embauches. » Etre utile, oeuvrer pour le développement, trouver du sens à son travail : ce thème revient comme un leitmotiv dans le discours des « retournés ». « Nos financements structurés ont permis le lancement de projets, comme la modernisation du Port autonome de Dakar, qui n’auraient pas vu le jour autrement », affirme Serge-Yanic Nana, directeur-adjoint, à trente-six ans, du bureau de la banque marocaine BMCE à Dakar. Il a vendu sa maison en Floride et délaissé une fructueuse carrière d’actuaire américain pour se lancer dans l’aventure.
« Je travaille dans un vrai secteur de développement : il s’agit d’ouvrir l’accès à l’électricité au plus grand nombre », déclare, pour sa part, Henri Epessé, sous-directeur des affaires juridiques d’AES Sonel, la compagnie d’électricité privatisée du Cameroun. Ce juriste de trente-cinq ans avait entamé une brillante carrière en France, d’abord à Ernst & Young Juridique et Fiscal, puis chez Herbert Smith. Un an plus tôt, il reconnaît avoir eu « l’idée de changer », mais il se voyait plutôt dans un pays d’Europe ou en Amérique du Nord.
Anthony Samé tente une explication : « Nos parents ont été confrontés à l’échec du développement : les investissements inutiles, la dette extérieure, la corruption. Notre génération formée en Europe veut faire aboutir ce projet, en plaçant l’Afrique dans le mouvement de l’économie mondiale. » Il reconnaît toutefois que ceux qui ont étudié en Afrique ne rêvent que d’une chose : quitter le continent.
JEAN-PHILIPPE VON GASTROW