Centrafrique : répudiées parce que séropositives

Centrafrique : répudiées parce que séropositives
27/04/2007 ( Centrafrique )
Jules Yangada

(Syfia Centrafrique) En Centrafrique, les femmes enceintes craignent d’être répudiées par leurs maris en cas de séropositivité. Du coup, elles sont de plus en plus réticentes à se faire tester ou à dévoiler à leurs conjoints leurs résultats.

En Centrafrique, selon l’Unité de dépistage anonyme (Uda) de Bangui, près d’une femme enceinte sur trois ne revient pas chercher les résultats de ses tests sérologiques, par peur du sida et de la réaction de son mari. Cette proportion est deux fois plus élevée au Centre de santé de Bédé-Combattant où, d’après des statistiques de mars 2006, deux femmes enceintes sur dix sont porteuses du virus du sida. "Je redoute que mon résultat soit positif. Si c’est le cas, je serais contrainte de le tenir secret", confie L. C., venue suivre ses examens prénataux au centre de santé de Malimaka, à Bangui.
Ce comportement à risque a poussé le gouvernement à faire voter en septembre 2006 une loi qui prévoit un emprisonnement de 3 mois à 1 an et une amende de 100 000 à 1 million de Fcfa (entre 150 et 1 500 €) pour "toute personne infectée par le sida qui ne déclare pas son état sérologique à son conjoint ou conjointe ou à l’autre partenaire dans le cas de concubinage notoire". Cette loi n’est toutefois pas encore promulguée.
Si les femmes infectées ne dévoilent pas leur état à leurs maris, c’est qu’elles redoutent leurs réactions. Depuis deux ans que le programme Prévention de la transmission parents-enfants du VIH (PTPE) a rendu systématique le test de dépistage des femmes enceintes, les témoignages d’épouses séropositives répudiées par leurs maris se multiplient. Le Réseau des médias de Centrafrique pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme dénonce tous les jours dans ses émissions de radio, de nombreux cas de ruptures conjugales provoqués par des hommes qui ne supportent pas de vivre avec leurs épouses atteintes du sida.

"Mon époux m’a traitée de tout"

Boukoutou, 26 ans, vit ainsi depuis quatre mois avec ses deux enfants dans un nouveau et modeste logement à Combattant, une banlieue de Bangui. "Dès que j’ai présenté le résultat du test de dépistage à mon époux, il a piqué une colère, et m’a traitée de tout", se souvient-elle. Le mari, qui, lui, ne veut pas se soumettre au test de dépistage, a immédiatement déserté le lit conjugal, avant de quitter définitivement la maison pour aller vivre avec une autre jeune femme.
"Mon mari a d’abord refusé de manger dans la même assiette que moi. Ensuite, il a confisqué tous mes biens avant de retourner dans son village où il s’est remarié", témoigne, toute en larmes, Natacha, 30 ans. Seule et sans revenus, expulsée de la maison par sa bailleresse, elle s’est réfugiée chez sa grand-mère.
Les femmes sont du coup de plus en plus réticentes à se soumettre au test de dépistage ou à informer leurs partenaires des résultats s’ils sont positifs. Elles ne sont pas seules en cause. "Les hommes, très souvent infidèles, ont généralement peur de se faire dépister", explique Lucie Mogade, psychopédagogue à l’Uda de Bangui. Pour le Dr Édith Pulchérie Adialo Sako, coordonnatrice du programme PTPE, les maris qui ne veulent pas se soumettre au test de dépistage inventent toujours des motifs pour "se débarrasser de leurs conjointes touchées par le VIH". Selon le sociologue Jean-Alain Doulpanga, ce genre de rupture est devenu un véritable problème de société. "Culturellement, comme la femme est inférieure à son mari, la répudier pour des raisons peu évidentes n’est pas un péché aux yeux du mari", analyse-t-il.

Séances de cure d’âme

Selon le dernier Rapport mondial sur le sida publié l’an dernier par l’Onusida, la Centrafrique est le dixième pays au monde le plus touché par la pandémie et le premier en Afrique centrale avec un taux de prévalence de 10,7 % chez les adultes de 15 à 49 ans. Cette séroprévalence est presque deux fois plus élevée chez les femmes (7,8 %) que chez les hommes (4,3 %). "La vulnérabilité socio-économique, les rapports précoces et traumatisants pour les jeunes filles et les multiples partenaires sexuels de l’homme sont autant de facteurs qui exposent davantage la femme au virus", explique le Dr Fikouma, spécialiste en infectiologie à l’hôpital de l’Amitié à Bangui.
Afin de favoriser la réconciliation au sein des couples en crise, le PTPE a créé 17 groupes de soutien pour les personnes vivant avec le sida dans les différents centres de santé du pays. Membre d’un de ces groupes et séronégatif, Pierre Kpamona vit ainsi à Bangui en harmonie avec sa femme infectée.
De son côté, un des prélats de la cathédrale Notre-Dame d’Afrique, Donald Assang, multiplie des "séances de cure d’âme" pour les couples chrétiens sur lesquels plane la menace du divorce. Son chapelet à la main, il rappelle le caractère sacré du mariage : "Personne ne doit séparer ce que Dieu a uni".

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