Cameroun : les langues locales facilitent l’intégration

Cameroun : les langues locales facilitent l’intégration

Par Charles Nforgang

(Syfia Cameroun) Au Cameroun, pays qui compte plus de 200 langues, s’exprimer dans une autre langue locale que la sienne brise les barrières ethniques et suscite l’admiration. Les jeunes, en particulier, qui en ont bien compris l’intérêt, sont demandeurs.

Marole, "la princesse des rochers sacrés", fait rêver. Cette artiste spécialisée dans le bendskin, un rythme musical des régions montagneuses de l’Ouest, chante désormais dans plusieurs autres langues locales camerounaises que la sienne. "Contents de m’entendre chanter dans leurs langues maternelles, des compatriotes m’appellent de partout pour me féliciter et m’encourager, explique-t-elle en souriant. Ils me considèrent désormais comme l’une des leurs au sens propre."

De plus en plus, des artistes, mais aussi des citoyens ordinaires revendiquent leur identité camerounaise, et pas seulement leur appartenance à tel village ou telle région. Chanter ou s’exprimer en plusieurs langues locales suscite la sympathie dans un pays où aucune des 200 langues n’a réussi à s’imposer face aux deux langues officielles, héritées de la colonisation, le français et l’anglais.

Ne plus être catalogué
Au Cameroun, c’est la langue, mieux que le nom de famille, qui permet de déterminer l’origine tribale d’un individu. "Un enfant peut porter le nom d’un ami de ses parents; qui n’est pas forcément de la même région. Ce qui permettra alors de l’identifier dans la société, ce sera sa langue maternelle. Mais s’il peut parler plusieurs langues, il devient difficile de le cataloguer", explique Papa Sa’feu Ngasseu, responsable à Douala de l’enseignement du féfé, langue parlée dans une partie de l’Ouest. Dans une salle de classe, il prépare en compagnie d’autres formateurs, la remise de leurs diplômes de Certificat d’études primaires et de Brevet d’études du premier cycle, en féfé, à plus de 200 apprenants. Nombre de ceux-ci ne sont pas originaires de l’Ouest, mais ils en parlent désormais la langue en plus de leur langue maternelle.

Depuis quelques années, l’intérêt pour l’apprentissage d’une autre langue camerounaise que sa propre langue maternelle va croissant, surtout parmi les jeunes. C’est pour eux un moyen d’échapper au tribalisme ambiant qui cloisonne la société camerounaise. Depuis l’avènement du multipartisme en 1991, l’origine régionale prime souvent sur le mérite, dans l’attribution des postes, par exemple. "Le problème c’est l’égoïsme. Chaque élite veut que ce soit sa langue d’origine qui soit retenue", regrette Papa Sa’feu Ngasseu.

Des avantages pratiques
Parler la langue de son interlocuteur donne droit aussi à quelques privilèges, surtout dans les services publics où le favoritisme est roi, et cela favorise les échanges commerciaux. "Je réalise de bons achats grâce à ma capacité à parler plusieurs langues locales, assure Philippe Kameni, responsable des achats dans une entreprise de communication de Douala. Quand tu t’exprimes dans la même langue que le vendeur, il te considère comme son frère et te fait des concessions. Si tu lui parles en français ou en anglais, tu deviens étranger et bon à tromper."

À la différence des établissements publics, où l’enseignement est dispensé dans les deux langues officielles, certaines écoles confessionnelles offrent la possibilité aux élèves d’apprendre dès la classe de sixième une langue locale inscrite au programme. Le choix des parents se porte en général sur une langue différente de la leur. Bien qu’originaire de l’Ouest, et non de la région du Littoral, Boris Kemlo, élève du collège Libermann de Douala a choisi le douala. Un de ses camarades, Patrick Ohandja, originaire du Centre, a fait de même : "Je peux articuler dans cette langue. Cela m’évite d’être catalogué comme originaire de telle région." Toutefois, à partir de la classe de quatrième, les langues locales disparaissent des programmes de ces écoles au profit de l’allemand et de l’espagnol, appris en seconde langue.

Quelques centres de formation privés prennent le relais : l’enseignement est dispensé par des bénévoles. Des Ong, comme AfricAvenir à Douala, aidés par des entreprises, organisent depuis cinq ans des concours de langues locales. Dans certains villages des associations culturelles réalisent des films en langues, sous-titrés en français, pour tenter d’intéresser les jeunes à leur culture. Des séminaires de formation étaient autrefois organisés avec l’appui du ministère de la Culture afin de promouvoir l’enseignement et l’apprentissage des langues locales. Cette dynamique a été brisée, il y environ cinq ans, quand une nouvelle équipe est arrivée à la tête de ce ministère avec d’autres priorités.

Avant les indépendances, les missions religieuses avaient choisi une langue par région qui s’était ensuite imposée dans les échanges. Elle était enseignée à l’école tandis que les missionnaires traduisaient la Bible et autres textes d’évangélisation dans cette langue. Mais au fil des ans, le français et l’anglais ont pris le dessus.

Source: http://www.syfia.info
20/02/09

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