CAMEROUN – La rentree scolaire 2004

Sept. 06, 2004 – 06:41
Jean Marc Bikoko : C’est une mauvaise année qui se prépare .Le président de la Centrale syndicale du secteur public de l’enseignement estime qu’il n’y a point de rentrée
Propos recueillis par Jean Baptiste Ketchateng
Source : http://www.quotidienmutations.net/

Quelles observations générales faites-vous de la préparation de cette rentrée scolaire ?
D’une manière globale on peut réaffirmer que les pouvoirs publics se comportent comme s’ils ne savaient pas qu’il y avait rentrée. Toutes les décisions se prennent quasiment à la veille de la rentrée ; les nominations datent d’à peine deux ou trois semaines, les mutations à peine deux semaines, c’est comme si on ne savait pas que la rentrée aurait lieu le 06 septembre. Quand on sait que tout devrait se faire dans une programmation à long terme, ce genre de décision nous laisse un goût amer. Et nous sommes sûrs que la rentrée n’aura pas lieu, ce d’autant plus que de nombreux acteurs ne sont pas en poste, parce que toutes les dispositions n’ont pas été prises à temps.

Quel impact peut avoir cette impréparation sur le déroulement de l’année scolaire, si la rentrée se tient tout de même ?
La rentrée tardive aura un autre impact sur la couverture globale des programmes, sur l’évaluation séquentielle et sur la sérénité des enseignants. Ils seront obligés de courir après le temps et de bâcler certains aspects des programmes, en dépit des instructions imposées. Il faudrait que toutes les dispositions soient prises pour qu’il y ait un timing précis de toutes les activités en relation avec l’année scolaire bien avant la rentrée, et à la limite à la fin du mois de juillet tout devrait être prêt.

De votre posture de syndicaliste et d’enseignant vous pouvez certainement apprécier l’état d’esprit actuel de vos confrères…
Psychologiquement les enseignants sont révoltés du fait que tout dans le comportement des dirigeants et des pouvoirs publics montre que l’école n’est pas une priorité, et que c’est les enseignants qui doivent faire de l’école ce qu’ils veulent sans moyen. Je prends pour preuve le sort réservé au statut particulier des enseignants qui a été signé depuis 2000, et qui jusqu’à ce jour n’a pas vu ses textes d’application signés. Quand on prend le sort réservé aux instituteurs vacataires qui aujourd’hui constituent près de 70% des enseignants de ce niveau d’enseignement (du primaire, Ndlr), et courent encore après leur intégration, alors que les autres, les policiers, les militaires sont recrutés chaque année et intégrés dès leur sortie, on comprend que les enseignants n’aient pas le cœur à l’ouvrage. Je crois qu’ils y vont de façon patriotique, juste pour maintenir l’institution en place, parce que l’école c’est l’affaire des enseignants et si elle s’arrête les enseignants disparaissent. Pour qu’ils ne disparaissent pas de la scène il leur faut être présents, tout en n’ayant pas les moyens de faire le travail.

Est-ce que cela peut se poursuivre ainsi ?
Ce n’est pas juste pour amuser la galerie, il y a plusieurs formes de révolte…

Vous vous résolvez donc à perpétuer une grève du zèle ?
Nous avons fait des grèves ouvertes. Nous avons fait des grèves larvées. Mais le gouvernement a montré que l’école ne lui sert à rien, et nous en avons déduit qu’il s’agit d’un complot contre le peuple. Notre fédération, la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (Fecase, Ndlr) en 2002 a sorti une lettre aux parents avec pour titre l’école camerounaise se meurt. Dans ce document nous avons démontré que le gouvernement et les dirigeants actuels voulaient mettre en place une aristocratie régnante. C’est-à-dire qu’à leur départ leurs enfants les remplacent. Mais comme l’école a permis aux enfants des pauvres que nous sommes d’avoir voix au chapitre, pour que l’école ne permette plus le passage d’une classe à une autre, il faut dévoyer l’école, et pour dévoyer l’école il faut traumatiser les enseignants. Et maintenant, pendant que l’école est déjà détruite, leurs enfants sont soustraits de cette école, envoyés à l’extérieur ou envoyés dans les écoles internationales à l’intérieur, pour que nos enfants aient des diplômes sans contenu. Il nous souvient qu’on a donné le Bac à six de moyenne, en ajoutant 40 points pour délibérer. Il a fallu qu’à l’extérieur on rejette nos baccalauréats, pour qu’ils reviennent à un réajustement. Nous n’avons donc pas le choix, ils sont tout puissants, vous descendez dans la rue ils envoient l’appareil de répression, vous faites ce que vous voulez faire, ils disent que vous êtes des saboteurs. Pour que l’enseignant conserve son outil, sa raison d’être qu’est l’école, nous avons choisi de faire une grève larvée, descendre dans la rue, mais rentrer. Chaque parent maintenant achète les cahiers, les tenues et autres, pour beaucoup de parents qui sont résignés, ils croient qu’acheter le cahier et la tenue c’est pour son fils, mais leurs enfants ne seront rien, parce qu’il faut participer à la concurrence internationale. L’enfant camerounais doit être le concurrent de petits français. Mais quand on voit le sérieux que les autres pays accordent à l’éducation de ses enfants, et l’indifférence, le jeu auquel se livrent nos dirigeants, on se pose des questions.

Ne vaut-il pas mieux avoir une année sacrifiée que d’enfiler un chapelet d’années blanches dans la réalité ?
Si la décision d’une année blanche incombait aux enseignants c’est depuis que l’on en aurait déjà déclarée. C’est le gouvernement qui décide d’une année blanche ou d’une année normale ; et il nous souvient qu’il y a eu des années de trois mois de classe…

Ne pouvez-vous pas imposer un changement de cap ?
On ne peut pas. Parce que même si on fait un seul mois de cours le gouvernement va valider l’année et faire passer les examens en disant que l’année s’est bien déroulée. Si la décision nous incombait il y aurait plein d’années blanches, on peut même dire que depuis 1993 ce sont des quasi-années blanches. Mais nous disons que comme le gouvernement veut jouer c’est exprès dans l’objectif de dévoyer l’école pour ne plus permettre aux enfants de la paysannerie de passer à ce qu’ils sont aujourd’hui. Nous disons que ce sont les parents qui nous trahissent, parce qu’en Europe les parents veillent à la qualité de l’école et s’associent aux enseignants pour interpeller l’Etat.

C’est la société camerounaise que vous indexez là…
Il faut dire que même la société est elle aussi travestie. Pour beaucoup de parents l’école est devenue un marché ; il y a des parents qui chaque année sont prêts à changer l’école de leur enfant. Il échoue dans un lycée il va acheter la place dans un autre. S’ils pouvaient acheter les diplômes, ils les achèteraient…Ils en achètent même. Beaucoup d’enfants aussi n’y croient plus. Quand il voit un aîné finir à l’université, avec un Dea (Diplôme d’études approfondies, Ndlr) et ne pas trouver de boulot, végéter, l’on ne peut demander à un garçon de 4ème de continuer lui aussi. Il n’y croit plus. Mon fils aîné a échoué au probatoire il y a deux années, tandis que son camarade footballeur cadet des Lions a été reçu au palais après avoir gagné la coupe en Afrique du Sud et on lui a donné 7 millions de francs. Il m’a dit qu’il ne fait plus l’école, il joue au football. Les enfants eux-mêmes n’y croient plus, quand on leur demande ceux qu’ils veulent faire, certains vous disent qu’ils veulent devenir des Américains en épousant une vieille blanche, ou aller en Europe…

Vous êtes à la fois des professeurs démotivés qui reçoivent des élèves démotivés, à terme cela pourrait déboucher sur quelle situation ?
Il faut arrêter le cinéma. Le gouvernement doit arrêter le cinéma pour que les Camerounais réfléchissent sur le type de société que nous voulons construire et pour déterminer le type d’homme que l’on doit former. Parce qu’il faut le dire notre système éducatif est bizarre ; nous ne savons même pas le type de citoyen que nous devons former. En 1995 aux Etats généraux de l’éducation, j’avais déjà dit que les Etats généraux ne donneront rien. Parce que tant que les politiques n’ont pas défini le type de société que l’on construit, l’école ne saura pas comment former. Nous avons dans notre journal à l’époque, La voix de l’enseignant, parlé de : Bal masqué au palais des congrès. Et à la fin nous avions raison parce qu’il n’en est rien sorti.

Pour ce qui est du cadre qui va accueillir les élèves, est-il prêt ?
Depuis l’année dernière j’ai demandé à ne plus enseigner, on m’a sorti des salles de classe. Je suis affecté à la délégation provinciale du Centre, parce que je me suis rendu compte que j’étais inutile. Les salles de classe ont une superficie qui correspond à un nombre précis, et la norme du Cameroun qui est même déjà excessive dit que chaque classe doit avoir 60 élèves, mais ce sont des classes de 140,150. Le professeur à l’intérieur ne peut même pas maîtriser les effectifs. Quand il doit évaluer il ne peut pas. Les salles de professeurs n’ont pas de chaise, elles ne sont même pas souvent balayées, bref l’ambiance est délétère, et les enseignants y vont juste pour faire acte de présence. Comme la présence assure le salaire à la fin du mois, ils y vont tout en vaquant à d’autres occupations. La plupart des enseignants aujourd’hui sont enseignants et commerçants, ou agriculteurs ou consultants. L’enseignement ne constitue plus une fierté, c’est un pis-aller.

On observe aussi une certaine fébrilité, qu’est-ce qui l’explique ?
Le Cameroun est un pays bizarre, je crois qu’il est l’un des rares au monde qui n’a pas de sécurité sociale et les parents sont donc responsables de tout ce qui concerne l’avenir de leurs enfants: la santé, l’éducation, la nutrition et autres. Les salaires dans la fonction publique ont été baissés de 70% en 1993, ce qui fait que les fonctionnaires ne peuvent pas subvenir à leurs besoins fondamentaux, ce qu’on leur donne à la fin du mois suffit pour manger et payer le loyer, et du coup ils ne peuvent pas préparer la rentrée à l’avance. C’est donc au coup par coup qu’ils résolvent les problèmes. Dans d’autres pays l’Etat paie de l’argent pour prendre ces enfants en charge, en France c’est 50000 francs mensuels par enfant, au Cameroun on donne 1500 francs par enfant. Est-ce que cela est normal ? Cette fébrilité est due au fait que le pouvoir d’achat des Camerounais est bas. Il ne correspond à aucune norme internationale. Le salaire minimum est de 23000 francs, est-ce qu’avec cette somme quelqu’un peut subvenir à ses besoins élémentaires ? On a pourtant des gens qui gagnent 23000 dans la fonction publique.

Comment pourra se dérouler cette année ?
La balle est dans le camp des pouvoirs publics. Mais au regard du dispositif mis en place par les syndicats d’enseignants, je crois que c’est une mauvaise année qui se prépare. La coordination des syndicats d’enseignants a envoyé un préavis de grève au gouvernement, pour dire que si leurs revendications ne sont pas prises en compte ils vont se mettre en grève dès le 06 octobre. Et cela va se poursuivre en alternance, grève-reprise, grève-reprise. Cela dans le secondaire et le supérieur. Les vacataires du primaire ont donné une conférence de presse avant-hier (mercredi 1er septembre, Ndlr) pour dire qu’ils vont préparer les cours mais qu’ils ne vont pas les dispenser. Et qu’ils vont organiser des marches du 13 au 15 à Yaoundé. Quand on aura bouffé deux mois en revendication, et à courir après les programmes l’échec est encore prévisible.

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