Cameroun – La course vers les diplômes ”exportables”
IPS News – [28/12/04]
Sylvestre Tetchiada
YAOUNDE, 27 déc (IPS) – ”Je veux élargir mon horizon, travailler pour une multinationale et aller aux Etats-Unis ou au Canada. J’ai donc opté pour un diplôme exportable”, déclare Evelyne Etonde, experte-conseil en ressources humaines dans une compagnie de téléphonie mobile à Yaoundé, au Cameroun.
Etonde, 31 ans, qui est en train de finir un ‘Masters’ en administration des affaires (MBA) et gestion, affirme à IPS qu’elle se trouve également en bonne position sur le marché international du travail grâce à l’installation, au Cameroun, du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, une province du Canada. Comme plusieurs autres – nationaux ou étrangers -, cet établissement d’enseignement supérieur a ouvert récemment ses portes dans ce pays d’Afrique centrale. Les détenteurs de diplômes étrangers seraient vite recrutés dans les grosses entreprises, notamment les multinationales.
Née dans un arrondissement situé à environ 20 kilomètres de Douala, la métropole économique du Cameroun, Etonde a passé une bonne partie de sa vie à étudier. Après ses études secondaires, elle a obtenu un diplôme de gestion en 1998 par correspondance au Campus numérique de Yaoundé, la capitale camerounaise. Enfin, elle fait son MBA en combinant le travail à temps partiel et des études en ligne (par Internet).
Etonde, qui soutient son MBA en janvier prochain au Collège communautaire, a dit à IPS qu’elle suivait encore un autre cours par Internet au Centre national d’éducation à distance (CNED), en France.
”Les entreprises vous voient d’abord comme une jeune femme sans tenir compte de vos compétences”, explique-t-elle à IPS. ”Si je veux grimper et devenir cadre supérieur, je dois être trois fois plus diplômée et expérimentée qu’un homme”.
Pascal Eloundou et Ferdinand Wandji, respectivement étudiants en deuxième année de Marketing et quatrième année de Finance Internationale, ont affirmé à IPS que ”les patrons (d’entreprises) chassent les têtes issues des universités étrangères”.
”Comme nous ne pouvons pas aller à l’étranger, nous saisissons la chance de nous former ici pour le même diplôme et pour les mêmes opportunités d’emploi”, a ajouté Wandji qui attend les résultats d’un test de recrutement à la Commission économique pour l’Afrique (CEA), bureau sous-régional de Yaoundé.
Le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, qui forme des étudiants camerounais en collaboration avec l’Institut supérieur des technologies et du design industriel, ainsi que les 17 autres institutions d’enseignement supérieur agréées, font partie des établissements issus de la ‘Réforme universitaire de 1993’. Cette réforme avait supprimé le monopole de l’Etat sur la formation académique au supérieur.
Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, quelque 15.000 étudiants étaient régulièrement inscrits, en 2004, dans les 18 établissements privés de niveau supérieur, contre environ 75.000 dans les six universités d’Etat. Une Commission nationale de supervision de l’enseignement privé (CNSEP) est chargée de réguler la qualité de ces écoles accusées généralement d’être de véritables menaces pour les établissements publics.
”Ils (les établissements privés) se concentrent sur les domaines lucratifs et précis comme l’informatique, la gestion, le commerce international, la médecine… Ils attirent par ailleurs les meilleurs enseignants du secteur public en leur offrant des salaires élevés, et demandent des frais de scolarité que seuls les riches peuvent assumer”, explique à IPS, Sammy Beban Chumbow, recteur de l’Université de Yaoundé I.
Selon Chumbow, ”Les établissements étrangers représentent une menace particulière pour les universités publiques”.
”Notre secteur public est immature”, renchérit Lucien Kombou, doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion appliquée de l’Université de Douala, dans un entretien téléphonique avec IPS.
Kombou ajoute : ”Nous nous efforçons de le faire évoluer. Le secteur privé est en majorité à but commercial. Il n’a pas, comme nous, la mission d’offrir un accès universel à l’éducation, l’égalité des chances et un enseignement de qualité”. Selon lui, ”Beaucoup de pays en voie de développement ont ce problème”.
Par ailleurs, explique Joël Moutlen, président de la CNSEP, ”l’engouement pour la création des établissements privés d’enseignement supérieur était tel que nos bureaux se trouvent submergés par les demandes de dossiers de création”.
Mais en octobre dernier, lors de la rentrée des universités du Cameroun, sur 42 dossiers de création examinés par la CNSEP, seuls 10 ont reçu un avis favorable, selon Moutlen.
Quelque 3.000 à 4.000 nouveaux bacheliers s’inscrivent, chaque année, dans des universités privées où ils suivent des cours à temps partiel pour les uns, ou par correspondance pour les autres. Mais le coût d’inscription reste prohibitif pour le grand nombre.
”Je me sens bien à l’Université catholique d’Afrique centrale, bien que le coût de la formation soit très onéreux. Les enseignements sont adaptés à notre contexte et la plupart des étudiants qui sortent d’ici, sont prêts pour l’emploi”, a déclaré à IPS, Théodore Ngann, étudiant en quatrième année de finance internationale.
Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, le coût des études varie entre 7.812,5 dollars et 9.765,6 dollars par an et par étudiant en Europe. Tandis qu’au Cameroun, les frais de scolarité dans un établissement supérieur privé oscille entre 585,9 dollars et 976,5 dollars.
La plupart des parents, qui inscrivent leurs enfants dans ces universités privées, sont des cadres supérieurs d’entreprise, de hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires ou des commerçants fortunés.
Alors que la pauvreté reste stagnante dans le pays, le taux de chômage est estimé officiellement à sept pour cent en 2004. L’économie n’absorbe que 40 pour cent des jeunes diplômés sortis des meilleures universités et 25 pour cent de ceux qui ont fréquenté les établissements moins réputés, selon le Fonds national de l’emploi (FNE).
Les jeunes diplômés de ces écoles sont souvent recrutés dans les banques, les télécommunications, les hydrocarbures, les assurances, les médias, la santé, mais également dans des institutions spécialisées du système des Nations Unies.
”On comprend l’engouement des étudiants qui sont friands des diplômes vendables”, a dit à IPS, Jules Mfonchiou, chargé de cours à l’Université de Yaoundé II-Soa. ”Ils considèrent les diplômes étrangers comme plus prestigieux que les nationaux et les voient même parfois comme des passeports pour les pays riches”, explique-t-il.
Pour autant, si certains établissements privés sont réputés sérieux, d’autres restent peu fiables. La CNSEP a éliminé en octobre dernier du fichier des universités privées, bon nombre d’entre elles sommées de fermer pour ”insuffisance académique”.
Selon Moutlen, leurs enseignements sont de ”moindre qualité”, avec des unités de valeur qui ne correspondaient pas aux normes académiques édictées par le ministère de l’Enseignement supérieur.
En outre, 32 autres établissements se sont vu refuser l’agrément d’exercer, et devront se faire enregistrer à nouveau auprès du ministère qui évaluera les critères de viabilité financière et de qualité académique.