Scolarisation dans le Sahel : Enseignant cherche élèves désespérément
C’est peut-être incroyable, mais c’est encore une réalité dans le Sahel burkinabé, où des parents hostiles à l’école interdisent à leurs enfants d’y aller. Face à ce refus tacite, les enseignants, presqu’au chômage technique, sont obligés de faire la ronde des maisons à la recherche de leurs élèves.
C’est une honte, voyez comment les salles sont vides. Je ne vois même pas à quoi je sers ici”. Ces propos du directeur de l’école primaire de M’Bamga sonnent comme un cri de détresse ce 8 janvier 2007, jour de rentrée. Dans cette école, il y avait peu d’élèves présents ce jour-là. Mais cet état des choses n’est pas dû à la rentrée, les absences dans cette école sont récurrentes. C’est une préoccupation de longue date.
Dans le flux multigrade de CE1 et CE2, on enregistre 16 présents sur un effectif de 72 élèves. Dans la salle d’à côté, celle du CM1, il n’y a que trois élèves présents sur huit. Et le directeur de l’école, Barry Issa de constater : “on est là, on attend les élèves alors qu’il est 10 heures”.
A M’Bamga, localité située à 20 km de Dori sur la route de Ouagadougou, ce n’est pas que les enfants n’aiment pas l’école, mais c’est plutôt les parents qui leur en interdisent l’accès par des subtilités du genre : “le maître n’est pas là, le maître dort ou encore, il n’y a pas d’élèves à l’école”, etc. “Dans ce village, le maître est parfois obligé d’offrir des stylos ou d’organiser des séances d’étude les nuits chez eux, au profit des élèves pour les motiver à venir en classe”, explique M. Barry.
Région à vocation pastorale et agricole, le Sahel est une zone où l’enfant est soumis à des tâches domestiques ou à la garde des troupeaux en brousse, les parents étant partis à Dori faire le marché. Dans ces conditions, pour avoir leurs élèves en classe, les enseignants sont obligés de faire la ronde des concessions à la recherche des apprenants.
Pis, certains sont obligés encore de payer des vêtements comme contre-partie de la présence des enfants en classe. Comme dans la région de l’Est, les mentalités, semble-t-il, ne sont pas favorables à la scolarisation des enfants. En fait, les parents fondent leur réticence sur le fait qu’envoyer un enfant à l’école n’est pas rentable…immédiatement. Ils considèrent donc que c’est une perte, vu qu’à la fin du cycle, les enfants se retrouvent au village sans possibilité de poursuivre leurs études.
Pour l’inspecteur de la circonscription de Dori, Sidiki Bokoum, joint au téléphone, deux faits majeurs expliquent la réticence des parents : le souci d’avoir l’enfant à côté et l’incompatibilité entre le calendrier scolaire et les activités pastorales auxquelles sont soumis tous les enfants. Selon Sidiki Bokoum, l’abreuvage du bétail ou sa garde ne coïncide pas avec l’emploi du temps à l’école. D’où la réticence des parents.
Conséquence : en début d’année scolaire, les effectifs sont élevés mais au fur et à mesure, il y a des abandons importants. Il en conclut que ce refus influe négativement sur les taux de scolarisation dans la région. Dans le Séno, le taux de scolarisation est de 38,98 %(reparti comme suit 38,10% pour les filles et 39,89% pour les garçons) alors que la moyenne nationale est estimée à 60,7%.
Pour recruter les nouveaux élèves, il faut recourir au registre d’Etat civil à la préfecture, pour pouvoir relever les noms des enfants en âge de scolarisation, a expliqué Issa Barry, directeur de l’école de M’Bamga. “Quand on convoque les parents, ceux-ci ne viennent jamais”, poursuit-il. Lorsque nous avons voulu connaître les raisons de ce refus des parents auprès des habitants du village, c’est par un motus et bouche cousue !
Finalement, c’est guidé par le directeur de l’école que nous trouverons un interlocuteur dans le village, en l’occurrence le président de l’Association des parents d’élèves (APE), Abdoulaye Dicko.
Il reconnaît l’importance de l’école. Mais poursuit-il, c’est l’ignorance qui amène les gens à ne pas y envoyer leurs enfants. “Quand on est en brousse, on n’en comprend rien”, justifie-t-il. A la question de savoir si son enfant va à l’école, Abdoulaye Dicko répond qu’il est malade aujourd’hui (il n’est pas allé en fait) mais que son état ne nécessite pas une consultation à l’hôpital. “Les parents disent que le maître dort ou est allé à Ouagadougou. Ils nous conseillent plutôt d’aller paître les animaux en brousse. On nous dit de ne pas venir parce qu’il n’y a pas d’élèves à l’école”, explique un écolier du CM2, Amadou Dicko, 14 ans. C’est un scénario quotidien à M’Bamga, localité dominée par les éleveurs, et sans doute dans le Sahel qui se termine le plus souvent par l’abandon du chemin de l’école pour les enfants.
S.Nadoun COULIBALY
10/01/2007
Sidwaya