Ambition : Etudes en France comme une étude de la vie

Ambition : Etudes en France comme une étude de la vie
Source : Quotidien Mutations (Cameroun)
19 Décembre 2005
Un dossier de Serge Alain Godong, à Paris

Ils sont de plus en plus nombreux à y aller, malgré un brouillard au bout de la formation.

La France est, depuis longtemps, le pays du monde qui attire le plus les jeunes Camerounais de tous âges, soucieux de porter plus en avant les connaissances dont ils ont besoin dans l’assimilation du monde. Destination aussi bien choisie par conviction que subie par le double dépit de la décadence intérieure et de la place focale qu’elle occupe dans l’imaginaire post-colonial d’un Cameroun toujours en crise d’identité. Le paradoxe veut que ce soit justement depuis que l’Etat a clairement suspendu sa participation à la régulation démocratique et institutionnelle de la formation de ses cadres – par le processus d’attribution des bourses, notamment vers l’étranger – que les Camerounais sont plus nombreux à l’extérieur de leur pays, singulièrement en France, pour se former. Dans des filières aussi nombreuses que variées, dans la quasi-totalité des villes de la France, grandes et petites. De jeunes garçons et filles, souvent en désamour avec leur propre pays, qui découvrent malheureusement quelques fois avec stupeur combien l’Hexagone dont ils rêvent tant peut être lourde et cruelle : dans des logements qu’ils obtiennent difficilement, dans un coût de la vie souvent exténuant, dans ces études mêmes auxquelles l’adaptation est souvent si problématique.

Le peu de parents privilégiés qui réussissent encore à faire venir leurs enfants en France, pour des questions d’études, ont tout à fait raison d’en tirer une raisonnable fierté : la crise aigue que traverse l’économie et la société camerounaises, depuis presque vingt ans, rend en effet le chemin vers la réussite individuelle et collective tellement illusoire que tous les rêves sont désormais permis pour espérer que chacun se tirera de la fatalité.

On croit pourtant encore tenir dans l’école, la nécessité à travers laquelle hommes et femmes d’une époque se révèlent à eux-mêmes en même temps qu’ils se révèlent au monde : processus d’apprentissage de connaissances théoriques et empiriques sur l’univers qui nous entoure ; canal par lequel la personne humaine trouve un minimum de cet équilibre que la sagesse ancienne rendait indispensable pour tout accès à la sociabilité. L’Humanité s’interroge à cet égard sur l’éducation, au même titre qu’elle se questionne sur sa capacité à se perpétuer au-delà de ses limites passées et présentes, dans l’objectif du dépassement, de la perfection, de la construction d’un idéal de "vie meilleure" pour demain. Une métaphysique lointaine qui obsède aujourd’hui tous ceux qui croient encore qu’il faut "mettre le paquet" pour "élever" ses enfants : les élever voulant dire, les "lever" vers le monde, vers ce sommet que beaucoup, à cause de la misère ambiante, ont fini par penser inatteignable.

De là, l’idée des études en France n’en paraît qu’encore plus savoureuse. Depuis la fin des années 80 et la déstructuration du système éducatif local qui s’en est massivement suivie, faire de "bonnes" études a fini par rimer avec les faire à l’étranger. Cet "étranger" au sein duquel la France occupe évidemment une place à part, autant pour des raisons historiques que simplement pratiques : proximité culturelle et – surtout – linguistique avec le Cameroun, minimisation des coûts économiques d’un tel investissement (chaque Camerounais a toujours au moins un cousin en France, susceptible d’héberger au moins deux mois durant, un adolescent en transition vers l’inconnu ), et même, maximisation de la gratification que les uns et les autres en tireraient à la fin du processus.

Depuis le temps de l’indépendance, la France a contribué pour l’essentiel dans l’effort de formation de l’élite dirigeante nationale. Avec un succès quantitatif que dissimule à peine un terrible insuccès qualitatif : le gros de ces troupes est justement de celui qui a le plus contribué à l’effondrement du pays, à l’instauration du népotisme et de la corruption, au renforcement des réseaux et du clientélisme, à la mise à sac des fondements républicains autour desquels est justement censé se tenir une démocratie libérale. On cherchera alors à savoir les raisons pour lesquelles, en dépit de cette faillite morale, l’actuel pays de Chirac attire toujours autant de gens.

Infrastructures

D’abord parce que, à juste titre, il est l’un des rares au monde à présenter un rapport qualité/prix aussi intéressant en matière d’éducation, et plus spécifiquement, en matière d’enseignement supérieur : des universités quasiment gratuites où il est possible de se hisser dans les meilleurs standards de formation, avec des enseignants, des laboratoires de recherche, des bibliothèques, une infrastructure aussi bien scolaire que parascolaire et un encadrement général du plus meilleur niveau qui soit. Certes, le pays n’est pas au top de la forme de ce qui se fait dans les pays développés les mieux classés dans le domaine ; mais tout de même, pour une jeune fille ou une adolescente qui vient de Ngaoundéré ou d’Edéa (après un transit ou non par Soa ou Dshang), se retrouver dans l’une de ces enceintes de formation prend nécessairement des allures d’une course vers le salut de l’âme.

A juste titre donc, les Camerounais continuent de courir en France, avec une obsession rendue encore plus aigue, au fur et à mesure qu’un terrifiant "sarkozysme" rend l’accès à son territoire toujours plus incertain. A ce jour, ils représentent, selon l’ambassade du Cameroun en France, une population estimée officiellement à 4.000 personnes, qu’il est toutefois plus raisonnable d’ajuster au moins à 6.000 individus, tant les circuits de pénétration sont nombreux et désormais parfaitement décentralisés. Et une mise à jour approximative à l’ambassade.

A ce titre, ils se hissent au premier rang des communautés d’Afrique noire les plus présentes pour raison d’éducation ; et, au mieux, des communautés les plus performantes de par leurs résultats.

Dans un pays où l’internationalisation n’est pas une allégorie – puisque jusqu’à 14% des inscrits dans l’ensemble de l’enseignement supérieur français sont effectivement des étrangers – il revient aux Camerounais de tenir leur rang qu’on leur soupçonne : celui d’être des étudiants, à défaut d’être brillants, débrouillards, travailleurs, et extrêmement lucides sur les angoisses que leur réserve l’inclémence de leur pays où la terre est devenue aussi redoutable qu’un sable mouvant. La difficulté à saisir des statistiques officielles, à leur sujet, n’est quant à elle qu’à la toute mesure de tout l’abandon dans lequel les pouvoirs publics les ont laissées, depuis la suspension des bourses au début des années 90 et, depuis, avec la quasi criminalisation de tous ceux qui s’engagent dans ce processus, souvent perçus comme de simples opposants.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *