Syfia – [03/03/06]
Depuis l’avènement des processus démocratiques en Afrique, les femmes chefs d’entreprise ont le vent en poupe. Mieux formées qu’autrefois, elles forcent le respect et désamorcent les préjugés les plus tenaces.
Drapée dans un grand boubou rose, la Nigérienne Amina Hassane Wangari en impose par son allure altière. Cette femme se bat depuis une dizaine d’années pour développer Ciminti Import-Export Btp et Cet Wangari, son complexe d’entreprises, spécialisé dans l’import-export, la construction, l’enseignement général et technique.
"Quand j’ai commencé en 1997, je n’avais que 40 millions de francs Cfa (environ 61 000 €). Aujourd’hui, mon chiffre d’affaires dépasse les 785 millions (plus d’un million d’euros)", confie-t-elle en marge d’un séminaire sur les Petites et moyennes entreprises (Pme) agroalimentaires, organisé fin février à Cotonou, la métropole du Bénin, par le Centre technique de coopération agricole et rurale (Cta). La Sénégalaise Bineta Coulibaly, une autre participante, a connu un parcours identique : de 35 000 F Cfa (53 €) en 1992 elle a su porter à 30 millions (45 735 €), quatorze ans après, le capital de La Vivrière, sa société de production et de vente de denrées alimentaires à base de céréales.
Nombre d’entrepreneuses d’Afrique peuvent se prévaloir d’une telle réussite. Dans la plupart des pays francophones d’Afrique de l’Ouest, l’émergence de cette classe d’entrepreneurs féminins date d’un peu plus d’une quinzaine d’années. "Elle est en grande partie le résultat des changements provoqués par l’avènement des régimes démocratiques autour des années 1990", analyse Moubarakatou Akinotcho, de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin. Assortis d’une libéralisation de l’économie, ces processus de démocratisation ont libéré les énergies et incité les femmes, 51 % de la population en moyenne dans ces pays, à s’impliquer davantage dans les activités économiques. Par ailleurs, au Bénin par exemple, la crise de l’emploi, accentuée vers la fin des années 1980 par la faillite des entreprises publiques et la mise au chômage de bon nombre de pères de famille, a rendu impérieux cet engagement des femmes.
Ces dernières étaient d’autant plus motivées que plusieurs institutions internationales (Unesco, Bureau international du travail, Cta…) et locales, de plus en plus sensibles aux questions de genre, les ont encouragées par divers moyens : formations à l’entrepreneuriat, conseils et appuis, facilités de crédit, etc. Les femmes elles-mêmes se sont organisées en réseaux : Association des femmes d’affaires et chefs d’entreprises du Bénin (Afaceb), Réseau des femmes chefs d’entreprises du Niger (Refcen), Réseau de l’entrepreneuriat féminin en Afrique de l’Ouest (Refao), etc. Pour elles, la formation est cruciale : "J’ai eu accès aux technologies de l’information et de la communication grâce aux séminaires fréquents qu’organise l’Afaceb pour nous aider à gérer nos affaires, précise Ginette Koukoui Honvo, importatrice de produits de beauté. Je me rends souvent au cyber pour chercher des opportunités d’affaires."
Ces formations leur permettent d’être présentes dans divers secteurs (hôtellerie, restauration, agroalimentaire, services…) et de s’affirmer dans un environnement souvent hostile, dominé par les préjugés sexistes. "Au début, j’ai eu des problèmes dans la gestion des ressources humaines, car certains de mes employés n’acceptaient pas d’être dirigés par leurs collègues femmes que j’avais nommées à des postes de responsabilité, témoigne Bineta Coulibaly. Mais j’ai été ferme et tout est rentré dans l’ordre." Pour elle, il est préférable d’avoir un mari et des enfants compréhensifs, car "on n’a plus de vie de famille, on rentre quelquefois à la maison à deux heures du matin".
La Kenyane Jemima Munene, gérante de la laiterie Palm House Dairies, se réjouit aussi du recul des préjugés dans son pays grâce au courage des femmes. "Mon entreprise contribue à la réduction de la pauvreté car elle a créé 35 emplois dans les zones rurales et fait vivre 350 producteurs de lait de vache et leur famille", se félicite-t-elle par ailleurs. La Vivrière, au Sénégal, emploie une quarantaine de personnes tandis que Ciminti Import-Export Btp a créé plus d’une centaine d’emplois au Niger.
"En 1992, la contribution des femmes béninoises au Pib, toutes activités confondues, était de 34 %. Cette part devrait connaître une certaine croissance avec l’évolution de leur taux d’activité en hausse d’environ 5 % entre 1992 et 2002", indique Ismaël Taddé, dans une étude sur l’entreprenariat féminin réalisée en 2005. L’objectif de ces femmes leaders est de continuer à mener des actions de sensibilisation, de formation et d’appui afin que leurs sœurs des zones rurales puissent à leur tour sortir de l’analphabétisme et du secteur informel, freins principaux selon Moubarakatou Akinotcho à l’émergence d’un entreprenariat féminin fort et durable.
Abraham BRAHIMA et Fernand NOUWLIGBETO