Afrique de l’Ouest – Enfants en danger : victimes de maltraitance
IRIN – [04/07/06]
Au centre d’accueil de l’Association mondiale des orphelins (WAO-Afrique) de Lomé, la capitale, vit une vingtaine d’enfants parmi lesquels ce jeune apprenti, brûlé au chalumeau parce qu’il somnolait au travail, cet écolier battu par sa maîtresse au point de perdre connaissance, et cette adolescente qui se remet d’une fracture du genou infligée par son père.
« Ici, les enfants sont battus à l’école et au travail, » affirme Cleophas Mally, responsable du centre WAO-Afrique.
« Plutôt que d’user de la violence, nous devons trouver un autre moyen pour imposer l’autorité et la discipline aux enfants », ajoute-t-il.
Mais au Togo, on croit fermement aux bienfaits des châtiments corporels. Lors d’une récente émission télévisée, des maîtres artisans arguaient qu’ils perdraient toute autorité sur leurs apprentis si la menace du recours au bâton disparaissait.
« Selon mon patron, ces insultes et ces coups font partie de mon apprentissage, » se souvient Kouma Teko, un garçon de 16 ans qui s’est enfui de l’atelier de menuiserie où son oncle l’avait placé en apprentissage.
Teko porte encore les cicatrices de son passage dans cet atelier. Aujourd’hui, il vend des stylos et des articles de papeterie le long des routes de Lomé, la capitale du Togo, un pays d’environ 5 millions d’habitants dont 42 pourcent ont moins de 15 ans.
Au centre d’accueil WAO, un établissement calme, d’un étage, géré par une douzaine de personnes, le directeur explique que les apprentis reçoivent régulièrement 30 à 40 coups simplement pour avoir mal serré une vis.
« J’avais l’habitude de dormir dans le garage de mon patron qui me répétait constamment que j’étais un bon à rien, » raconte Folly 17 ans. « Un jour, je somnolais pendant qu’il travaillait et je me suis réveillé en sursaut parce que j’ai senti une brûlure à mon bras. Il m’avait brûlé avec un chalumeau ».
Togo
Les écoles devraient être des lieux sûrs pour les enfants
« Les enfants sont également battus à l’école », raconte Mally. « Certains professeurs mal intentionnés ont un comportement vraiment inadmissible », ajoute-t-il. « Certains d’entre eux battent les enfants au point de leur arracher la peau des fesses. C’est intolérable… et malheureusement cela ne se passe pas qu’au Togo ».
Au cours de l’entrevue qu’il a accordée ce mois à IRIN, Jean-Claude Legrand, conseiller à la protection de l’enfance pour l’UNICEF dans la région de l’Afrique de l’Ouest expliquait que le châtiment corporel est largement répandu dans les écoles de la région.
« Il y a un vaste problème d’abus de pouvoir par les directeurs et les maîtres. Certains pays dans la région ont développé des mécanismes de surveillance pour que les parents et les enfants n’aient aucun moyen de se plaindre et ou d’obtenir réparation », affirme-t-il.
Au marché central de Lomé, Madame Dede, une commerçante togolaise, raconte qu’elle obligeait son fils à aller à l’école. Très vite, elle s’est aperçue qu’il n’allait pas en classe de peur de se faire battre par le maître.
« Deux mois après son inscription, je me suis rendu compte qu’il n’allait plus à l’école parce que ses camarades de classe lui avaient raconté à quel point le maître aimait se servir de son bâton ».
Un autre jeune garçon a confié à IRIN que dans son établissement, une maîtresse avait tellement battu un écolier que ce dernier avait perdu connaissance. Cet écolier était atteint de la maladie du sommeil et ne parvenait pas à répondre aux questions de l’enseignante. Elle l’a tellement frappé qu’il s’est évanoui, raconte Ghislain.
Le Togo a pourtant une loi qui interdit les châtiments corporels à l’école mais, explique M. Legrand d’UNICEF, les gouvernements des pays de la région ne font rien pour régler définitivement le problème de la violence à l’école.
Souvent, les maîtres sont simplement affectés dans un autre établissement lorsqu’une plainte est déposée et on ne fait que déplacer le problème plutôt que de le régler.
Nous devons veiller à faire de l’école un lieu sûr pour les enfants et non un endroit où ils sont exposés à toutes formes d’abus.
Le ministère de la Santé, les services sociaux et la police envoient souvent au centre d’accueil de WAO-Afrique les enfants victimes de violence domestiques.
"Tu vas mourir"
Eléonore, écolière de 13 ans, raconte que depuis le jour de sa naissance, son père la déteste. « Il peut se mettre à me battre sans aucune raison alors que je suis simplement en train d’étudier ».
Eléonore a été amenée au centre d’accueil, le jour où son père s’est mis à la battre si violemment qu’il a failli la tuer.
« Il a mis un chiffon dans ma bouche et il a commencé à me battre. Ensuite, il a été cherché un couteau, mais comme il n’en trouvait pas, il a pris un pilon et il m’a dit ‘tu vas mourir et personne ne dira rien.’ »
Elle raconte que son père a brisé son genou à l’aide du pilon et c’est grâce à l’intervention d’un voisin qu’elle a été envoyée quatre jours plus tard à l’hôpital pour se faire soigner. Son père a été arrêté et mis en prison.
Il est rare au Togo qu’une peine de prison soit infligée pour mauvais traitement d’enfants. Les gens portent rarement plainte et il y a une culture du silence due au respect des membres de sa famille ou des dignitaires locaux.
« Lorsqu’un maître vous frappe ou que vous vous faites violer par votre père, la coutume vous empêche de les dénoncer », explique Mally. Si un membre de la famille est mis en prison pour avoir été dénoncé par un enfant, la communauté réagira très mal.
Et l’impunité encourage la violence, explique-t-il.
Pourtant, la situation des enfants battus suscite de plus en plus d’inquiétude au Togo. Un projet de loi pour protéger les enfants sera bientôt examiné par l’Assemblée nationale et certains grands musiciens du pays se sont mobilisés pour mener des campagnes de sensibilisation auprès des parents, des enseignants et des patrons d’atelier.
Le chanteur togolais King Mensah, qui a d’ailleurs enregistré plusieurs disques contre la violence sur les lieux d’apprentissage, dénonce la violence au travail.
« Quand j’étais petit, j’ai tellement reçu de coups que si je voulais aussi en donner je n’en finirais pas. Alors la violence doit cesser », a-t-il conseillé.